Martin Margiela fait de la ville d'Anvers un musée à ciel ouvert

Si son nom résonne dans le cœur des fashions du monde entier et si sa réputation s’est faite non pas pour son talent de sculpteur mais plutôt pour les œuvres d’art qu’il a offertes au monde de la mode, Martin Margiela a pourtant plus d’un tour dans son sac. Après que le créateur Belge se soit retiré en 2009 de la tête de sa Maison éponyme, il n’a pourtant pas chômé depuis, décidant de se reconvertir ensuite dans l’art, à proprement parlé. Il a passé deux ans à travailler avec Lafayette Anticipations – Galeries Lafayette Corporate Foundation, créant plus de 40 œuvres d'art pour sa première exposition personnelle qui a débuté en octobre 2021. Plus récemment, en mars dernier, ses oeuvres posaient leur valises à Athènes, en Grèce, pour quelques mois, dans une exposition présentée par la Bernier/Eliades Gallery. Pourtant aujourd’hui, ce n’est ni dans une galerie, ni dans un musée, ni même dans un magasin que se dresse majestueusement sa dernière oeuvre en date, mais bien dans une rue de sa bien aimée Anvers, là où les premières lignes de sa carrière se sont écrites. 

Au coeur de la Schuttershofstraat, dans le centre de la ville du nord de la Belgique, se dresse Blinds, la toute première sculpture extérieure de Margiela, à la forme cylindrique composée de petites lames métalliques. Réalisée dans le cadre du projet Kunst in de Stad (L'art dans la ville) du musée Middelheim, l'installation évoque les stores de fenêtre tout en y ajoutant une touche de mystère, en parfaite adéquation avec les penchants énigmatiques de Margiela. Selon le musée Middleheim, « l'œuvre d'art réfléchissante fait également référence aux vitrines des magasins qui bordent la rue. Les passants voient ce qui est exposé, mais aussi un aperçu d'eux-mêmes », examinant ainsi l'idée de « voir et être vu, de l'attrait et de la lueur, et de l'imprévisibilité de la vie urbaine ». L’objet associé à l’intimité (le rideau de lamelles) est ici à la vue de tous, pourtant se qu’il cache reste un mystère, laissant au passant la liberté de décider quel secret il pourrait potentiellement enfermer. Quiconque cherche à voir derrière le rideau en contournant la sculpture finit inexorablement par revenir à son point de départ. Les lamelles argentées demeurent figées, tandis que la ville s’anime tout autour. L'œuvre se révèle alors comme un mirage, un paysage onirique sans fin, rendant hommage au surréalisme belge, une source d'inspiration majeure pour Margiela.

Le surréalisme n’est bien entendu pas le seul à avoir inspiré le créateur, la rue et le petit monde frénétique qui y grouille compte également parmi ses muses, justifiant également ce choix de musée à ciel ouvert. Dans ses créations précédentes, il avait choisi de transformer en oeuvres d’arts des objets du quotidiens empruntés à l’environnement urbain, comme des sphères de silicone recouvertes de cheveux humains, des peintures à grande échelle de particules de poussière et des espaces vides symbolisant l'idée d'une exposition « en flux, inachevée et en mouvement permanent ». Ici, le créateur a pris le processus de création dans le sens inverse, en choisissant d’exposer un objet appartenant au privé, voire au spectre de la pudeur, dans un endroit on ne peut plus public, à la vue de tous. Un seul et même élément cependant réside et suit Margiela dans toutes ses créations, allant de ses pièces modes à blinds, en passant par ses oeuvres précédentes : une grande sensibilité aux matériaux et au concept d'effervescence, nous invitant à profiter de l’instant présent avant qu’il ne s’échappe.