Les bars audiophiles n’ont jamais été aussi cool
Grâce au succès des vinyles (et des vins naturels)
16 Janvier 2024
Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, nous n’aimons plus les clubs comme avant. Et non, ce n’est pas juste une impression. En juillet 2022, une enquête menée par la plateforme Keep Hush, spécialisée dans l’organisation et dans la promotion des événements musicaux, révélait que 25 % des 18 à 25 ans sont moins intéressés à sortir en boîte après la pandémie. Plusieurs facteurs contribuent à créer dans les zoomers et les millenials ce que les chercheurs ont défini "rave fatigue". Cela ne signifie pas forcément que les jeunes sortent moins. Mais certainement, ils sont plus ouverts à des propositions différentes et à une réflexion sur la définition même de divertissement. Et si, en même temps, le choix en termes de vie nocturne surtout dans les villes les plus trépidantes n’a jamais été si ample, une nouvelle tendance bouleversant les codes des soirées se déploie depuis quelques années : les bars audiophiles, ou listening bars.
Un bar audiophile, c’est quoi ?
Nés dans les années 50 au Japon, où juste après la Seconde Guerre Mondiale les vinyles étaient extrêmement chers, le concept original des bars audiophiles est simple : le gens ne se retrouvaient pas pour socialiser, mais justement pour écouter en silence de la musique diffusée par des tourne-disques, dans le cadre d’un espace équipé d’un système audio de très haute qualité. Jazz Kissa, c’est l’appellation nipponne pour ces lieux. Listening bars pour les américains et pour les européens qui, guidés par une génération pétillante d’entrepreneurs souvent dans la trentaine, ont repris l’idée en lui conférant une patine différente. Dans les bar audiophiles nés au fil des dix dernières années, le son est toujours au centre. Ainsi, l’espace est conçu de manière à ce que l’on puisse apprécier pleinement la musique jouée. Mais le soin de la sélection de platines et de la qualité de l'écoute est souvent accompagné, aujourd’hui, d’une ambiance qui invite au partage. Menus sophistiqués, cartes raffinées de cocktails et de vins naturels, attention maniaque au décor. En franchissant le seuil d’un bar audiophile, on a la sensation de rentrer dans le salon de l’appartement d’un ami. Pas un endroit où danser toute la soirée façon club, plutôt un lieu où onduler doucement, tester des bons produits et discuter avec des amis en même temps, tout en profitant de systèmes de son haut de gamme que la plupart de gens ne possèdent pas chez soi. Ce qui en fait des lieux insolites de la vie nocturne, protagonistes d’un succès qui se doit en partie aussi à l'intérêt retrouvé du public pour les vinyles et plus en général pour l’univers de l’acoustique. Selon le dernier rapport de la plateforme Luminate concernant l’industrie de la musique, en effet, les ventes de vinyles aux États-Unis sont en hausse de 21,7 % pour le premier semestre 2023 par rapport à 2022, qui avait déjà marqué la 17e année consécutive de l’augmentation de ventes de platines.
À Paris, plus de 20 bars audiophiles sont nés en seulement 6 ans
Ainsi, de Londres à Berlin, d'Amsterdam à Milan, dans les grandes villes européennes les listening bar se sont multipliés au fil des cinq dernières années. Le londonien Brilliant Corners, légendaire pionnier des bars audiophiles ouvert en 2013, a montré la voie aux autres avec son espace simple qui ne distrait pas de l'expérience acoustique. Le berlinois Rhinoçéros rend hommage à la culture japonaise depuis 2014, en associant la musique jazz, blues, soul et funk sur un système hi-fi à une sélection de vins rares. Paris n’est pas resté les bras croisés, au contraire ! À l'ombre de la Tour Eiffel, on compte aujourd’hui une vingtaine de bars audiophiles, contre zéro il y a juste dix ans. C’est Fréquence, situé dans le 11e arrondissement, qui a ouvert le bal en 2018, lancé par Guillaume Quenza, Matthieu Biron et Baptiste Radufe, trois passionnés de platines avec un passé dans l'hôtellerie et la restauration. Dans ce bar au décor scandinave, désormais devenu une institution pour les mélomanes, une carte de cocktails affûtée rendant hommage au Japon se mélange à une expérience auditive d’exception, s’appuyant sur une collection de vinyles qui met à l’honneur la black music.
Peu après, en 2019, est né le Café Montezuma, un autre listening bar incontournable de la capitale française. Inspiré du Brilliant Corners, le Montezuma Café mise sur une cuisine bistro et sur un système de son vintage déniché à Saint-Etienne. «Mais ce n’est pas juste une question de qualité du son. Ce qui est plus intéressant, c’est la communauté qui s’est créée. Chez Montezuma, il y a un public assez jeune et surtout à l’écoute, ouvert à des sons qu’on ne trouve pas trop ailleurs», explique un de deux fondateurs, Louis Mesana. Freinés par la crise sanitaire commencée en 2020, les bars audiophiles parisiens ont connu un intérêt de plus en plus croissant avec la fin des restrictions. Chacun avec son propre style. Bambino, installé au cœur du 11e arrondissement depuis 2019, se fait remarquer par ses cocktails à la pression et surtout sa veine festive qui fait le bonheur d’une clientèle jeune et internationale. Chez Cadence, situé rue à deux pas du Canal Saint Martin, l’accent est sur un menu audacieux à base de produits de saison. Le Discobar, ouvert en 2020 dans le quartier de Belleville, ouvre les bras à tous les DJ amateurs, sur inscription en ligne. Le Book Bar de l’Hôtel Grand Amour, pensé comme un grand salon d’appartement habillé de livres, vinyles, lampes dépareillées, longues tables et canapés, est aussi l’un de rendez-vous des fashionistas parisiens.
La liste serait encore longue. Dernier arrivé, dans l’ordre chronologique, c’est le restaurant Superflu, pépite cachée dans le 18e arrondissement dont le bar en courbes est recouvert d’une mosaïque bleue où s'intègrent les platines. Conçu par Louis Bruneteau, déjà à la tête du bar audiophile Stéréo, et Jean-Baptiste Andrau, architecte de formation, cette adresse au plafond en béton projeté (ce qui permet une acoustique parfait) offre tous les week-ends après le dîner une programmation musicale house, disco et techno accompagnée d’une carte de bons vins nature. «Ce binôme fonctionne particulièrement bien car à Paris il y a une profonde culture du vin naturel qui n’est pas aussi présent ailleurs», explique Jean-Baptiste, selon lequel l’évolution des styles de vie pendant le Covid a aussi aidé les listening bars à réussir leur coup. «Alors qu'avant on avait l’habitude de sortir beaucoup dans les clubs, pendant la crise sanitaire on ne pouvait que se retrouver dans les bars et les restaurants - continue Jean-Baptiste. Ainsi, les gens ont retrouvé le goût du bien manger et du bien boire et ont repensé l’idée de soirée. À la fin de la pandémie, il y avait donc une demande importante de lieux hybrides, où l’on peut manger un bout, siroter un verre et danser un peu. D’où le succès du modèle des bars audiophiles». Pas mal de gens, en effet, les préfèrent aux clubs. Emma, parisienne de 27 ans et cliente habituelle de listening bars, trouve par exemple que «l’union entre une sélection musicale pointue et spécifique, l'ambiance chaleureuse que les boîtes de nuit n’offrent pas et la possibilité de bien manger et bien boire confèrent à ces lieux un caractère unique».