Les costumes d'Halloween, nouveau fétiche des fashionistas

Dans la société américaine du 20e siècle, les costumes d'Halloween avaient une allure plus sérieuse et terrifiante, ancrée dans les racines païennes et chrétiennes de la fête et liée au concept de la mort. Pourtant, il y a environ deux milles ans, les Celtes avaient déjà pour coutume de se déguiser le 31 octobre à l’occasion de Samhain, une fête païenne considérée comme le précurseur d'Halloween, qui marquait la fin de l’été et le début de la période la plus « sombre » de l’année dans les îles britanniques. Selon les croyances, au cours de cette célébration, le monde divin devenait visible aux yeux des humains, entraînant des manifestations surnaturelles. C’est pourquoi peaux et têtes d'animaux étaient les déguisements privilégiés de nombreux participants, qui pensaient pouvoir, de cette manière, tromper les esprits errants.

Ce n’est certainement pas pour échapper aux esprits que certains et certaines arriveront cette année à la soirée du 31 octobre déguisés en Chapell Roan lors de la cérémonie des Grammy Awards, ou Chani de Dune 2, incarnée par Zendaya. En effet, la pop culture est devenue une immense réserve d’inspiration pour Halloween, et aujourd’hui, les références de costumes foisonnent. Charli Xcx, Emily in Paris ou Linda Evangelista pour la SS91 de Chanel ? Choisissez votre combattant. Selon le dernier classement «Frightgeist» de Google, qui révèle 25 idées de costumes « tendance » à l'approche d'Halloween, cette année beaucoup de Shrunken Head Bob de Beetlejuice, de Sabrina Carpenter, ou encore de Raygun - la breakeuse australienne devenue virale sur les réseaux sociaux lors des derniers Jeux olympiques pour sa technique jugée peu impressionnante - seront au rendez-vous. 

Dans ce contexte, la fashion sphère semble avoir conquis sa place. Il suffit de demander à la niche des passionnés de mode qui rendent hommage à certains looks issus de collections iconiques des créateurs les plus importants de l’histoire, mais aussi à un cercle plus large de personnes qui, bien que moins initiées, n’hésitent pas à s’approprier des fashion statement de célébrités et personnages fictifs pour leur déguisements. Naturellement, les réseaux sociaux, notamment X et TikTok, ont permis à la niche mode de se rassembler autour de ce jeu et de partager de partager leurs références avec une vaste communauté. Sur TikTok, les vidéos de personnes déguisées en The Dare – avec le classique costume noir-cravate – ainsi qu’en Bella Baxter avec des tenues colorées à la silhouette Courrèges-esque, ou encore en Emily in Paris avec une combinaison rayée noire et blanche et une jupe-boule amovible, font un carton. 

Toutefois, dans certains cas, plus la référence est de niche, plus le costume est perçu comme cool. Un aficionado de la mode sur X (anciennement Twitter) a affirmé qu'il se déguiserait en Lee Alexander McQueen soutenant la modèle Kate Moss — à l’époque plongée dans un scandale médiatique autour de ses excès — en portant un t-shirt avec l'inscription « We love you Kate » lors de la présentation de la collection SS06 de sa marque. Une autre internaute a décidé de rendre hommage au designer britannique en reproduisant, avec des matériaux de récupération, la célèbre tenue « sprayed » de la collection SS99. En 2023, l’influenceuse Alissa Violet, quant à elle, recréait le look de Kate Moss pour la collection SS94 Café Society de Vivienne Westwood, complétant son déguisement par une glace à la main. Certains n'ont pas manqué de souligner le caractère potentiellement ridicule de cette tendance. « Je déteste quand les fashion bros fêtent Halloween, parce que qu’est-ce que ça veut dire de se déguiser en 'look 40' du défilé FW01 de Raf Simons ? », a ironisé un utilisateur sur TikTok. 

Faut-il donc assumer son addiction à la mode même à Halloween ? Ou bien ce jeu n’est-il qu’un exercice de style destiné à montrer à sa propre niche la supériorité de ses connaissances et références ? Certes, la dimension grotesque du déguisement semble difficilement compatible avec l’idée que s’habiller diffère de se déguiser et que les tenues ne sont pas des costumes mais un outil d’expression, comme en témoigne l’incident récent impliquant Rick Owens et son entourage, expulsés de la Cité Interdite à Pékin pour avoir refusé de changer leur tenue jugée inappropriée pour le lieu. Mais sans entrer dans des considérations sociologiques complexes, le déguisement peut être aussi une manière de s’amuser et de participer activement au jeu de la mode. Plusieurs études rappellent en effet que se déguiser aide à s’accepter soi-même et à développer sa propre capacité d’empathie. D’ailleurs, c’est la mode qui a été la première a multiplier les références à l'au-delà et les moments « horror », sur les podiums et pas que. Le streetwear d'ailleurs semble lui aussi, avoir pris une teinte lugubre, comme en témoignent la présence massive de silhouettes frankensteiniennes, des looks en cuir vampiriques, des lèvres noires et des dents ensanglantées. Ne craignez donc rien: c'est peut-être le moment de sortir ciseaux, fer à repasser et machine à coudre pour assembler enfin la version de la robe Gazette de John Galliano qui traîne dans votre panier Vestiaire Collective depuis des années. Après tout, comme le disait Lee Alexander McQueen, « les vêtements ne sont que des vêtements. »