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Ils conçoivent ta pièce préférée et se fichent que tu le saches : entretien avec Supersolid

Basé à Paris, Supersolid est le premier studio de ghost design au monde

Ils conçoivent ta pièce préférée et se fichent que tu le saches : entretien avec Supersolid Basé à Paris, Supersolid est le premier studio de ghost design au monde

Ses fondateurs le définissent comme « le seul ghost atelier au monde ». Leurs clients, en réalité, ne sont pas toujours un secret. Ce qu’ils font pour eux, en revanche, l’est. Fondé par Étienne Deroeux et Alex Sossah en 2021, Supersolid Studio travaille dans l’ombre - bien que leur QG au cœur de Belleville soit baigné de lumière - sur les projets de plusieurs grands acteurs du monde de la mode, dont Nike, Jean Paul Gaultier, Off-White, Kidsuper et Y/Project. « Là où le design, la production et le commerce se rencontrent », peut-on lire sur le site de l’entreprise. Mais qu’est-ce qu’un ghost designer ?

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« Ce n’est pas simple à définir lorsqu’on souhaite préserver une certaine discrétion sur notre travail, mais je peux dire que nous couvrons un éventail très large de tâches : du concept au design, en passant par les solutions de fabrication, le matchmaking, la stratégie et le merchandising », explique Étienne Deroeux, évoquant une vision holistique de l’entreprise qui dépasse largement le simple processus de création et qui, dans certains cas, se transforme en un processus à 360 degrés. « Ce n’est pas nécessairement du end-to-end. Il est important de comprendre que chaque client a des besoins différents, donc nous n’avons pas de formule universelle », précise Deroeux. Mais ne les prenez surtout pas pour une agence de production, car « pour cela, il y a déjà beaucoup d’entreprises meilleures que nous. Ce que nous faisons est différent : nous apportons une valeur ajoutée en termes de sourcing, design, ingénierie, développement ou recherche ». Avec un passé de designer indépendant et aujourd’hui à la tête de son propre label, FORMA, Etienne Deroeux a toujours travaillé pour d’autres marques, réalisant à un moment de sa carrière jusqu’à cinq collections par saison. L’envie de structurer et d’étendre ce travail, renforcée durant la pandémie de Covid, a donné naissance à Supersolid Studio. Derrière la patine de mystère qui contribue à son attrait, un ghost atelier choisi pour des raisons stratégiques de garder l’anonymat. « S’adresser à nous, c’est la garantie d’un service discret » pour les clients, éxplique Deroeux. 

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L’industrie de la mode, elle, a commencé en revanche à mettre en lumière le travail des figures qui ne prennent pas la scène depuis un moment, comme le témoignent la pertinence que le concept de ‘craftmanship’ a assumée au fil des dernières années, ainsi que, plus banalement, les nombreuses occasions où les directeurs artistiques ont porté sur le podium leur équipe ces dernières années ;  Sabato de Sarno chez Gucci, Pier Paolo Piccioli chez Valentino… on compte de nombreux exemples. Selon Étienne Deroeux, cela s’expliquerait par le fait que l’industrie commence à comprendre qu' « elle ne peut pas se passer du travail humain, qui apporte dans la mode et le luxe plus en général une valeur irremplaçable par les machines. Celui qui arrive à créer des choses variées, c’est l’humain. Et aujourd’hui personne ne veut le même produit. En ce moment, les entreprises font face à des résultats négatifs car elles s’appuient plutôt sur les prestations et les données des machines. Ainsi, les produits deviennent de plus en plus similaires entre eux (d’où, aussi, l’essor des ainsi dites “dupes” tant en Europe qu’en Asie, ndlr), les gens s’ennuient et les chiffres baissent. »

Pour contexte, au troisième trimestre 2024, les ventes de LVMH ont, pour la première fois depuis la crise de la Covid-19, enregistré une baisse globale de 3 %. Chez Kering, la situation est encore pire, avec une chute de 15 % des ventes sur la même période. Dans ce cadre, se démarquent les chiffres à contre-courant d’Hermès, qui affiche une croissance globale de 10 %. À ce propos, Deroeux souligne : « Ils sont les seuls à performer parce qu’ils se soucient de leur savoir-faire. Tout le monde veut entrer dans la boutique et acheter un Birkin ou un Kelly, personne ne connaît le designer. La vérité, c’est qu’une fois que tu sors de la bulle des 50 000 personnes qui travaillent dans l’industrie de la mode à un haut niveau, tout le monde s’en fiche. » Cette prise de conscience réconcilie également le fondateur de Supersolid avec la question du manque de reconnaissance publique pour un ghost designer, qui devient pour lui une forme de liberté.

Son rôle, soutient-il, est plutôt de trouver des solutions là où les grandes structures rencontrent des blocages en raison de multiples strates de décisions. En gros, selon Deroeux « la mode a un problème de langue. Dans les grandes maisons, le PDG ne parle pas la même langue que le designer, le designer ne parle pas la langue de l’équipe de merchandising, le merchandising ne parle pas celle de la production et ainsi de suite. Ils ont juste besoin d’un traducteur, et c’est exactement ce que nous sommes ». Il s’agit des dynamiques, celles décrites par le fondateur de Supersolid Studio, qui ces dernières années transforment le secteur de la mode sous nos yeux et promettent de continuer à influencer l’évolution des jeux de rôle ainsi que les rapports de force au cœur des maisons.