Le prestige d'Hermès remis en question par un sac à 78$

Maître incontesté du savoir-faire à la française, représentant officiel de l’exclusivité avec sa liste d’attente durant des années entières et symbole à la fois de l’élégance et du bordel poétique de sa muse Jane Birkin, le Birkin d’Hermès est aujourd’hui un des sacs les plus désirés au monde. Et ça, le marché des dupes l’a très bien compris. Durant la période de flottement entre noël et nouvel an, des vidéos d’un sac en cuir rectangulaire décoré d’une serrure et muni d’une poignée sur le dessus ressemblant étrangement à un Birkin et mis en vente sur la plateforme de la multinationale de grande distribution américaine Walmart ont inondé Tik Tok. Quelques clics ont suffit pour faire du "Walmart Birkin", aussi renommé “Wirkin” décliné dans plusieurs couleurs et en deux tailles différentes, le nouveau it-bag de l’année. Mais alors que des utilisateurs se bousculaient pour en acquérir un exemplaire avant que ce dernier ne soit victime de son succès, d’autres se sont interrogés sur son arrivée, son succès, mais surtout la signification de ce dernier. Le Wirkin aurait-il touché la corde sensible du luxe et de ses consommateurs ? 

Selon les utilisateurs de la plateforme chinoise qui ont réussi à s’en procurer un exemplaire avant qu’il ne soit retiré de la vente, ce dernier (vendu pour 78$, soit moins d’un centième du prix d’un Hermès), serait un dupe tout à fait légitime du vrai Birkin, réalisé dans un matériel et une forme identique à l’original, malgré l’absence de l’emblématique logo de la calèche sur le devant. En plus de sa ressemblance frappante avec le Birkin, expliquent-ils, le Wirkin est de manière générale un très bon sac du haut de ses 80$, avec son cuir (ou du moins ce qui ressemble et sent véritablement comme du cuir), son cadenas et ses petits pieds dorés. Bien qu'il ne s'agisse pas de la seule copie sur le marché, le fait qu'une contrefaçon du très convoité sac Hermès ait attiré autant d'attention et obtenu un succès colossal témoigne d'un changement dans l'attitude des consommateurs à l'égard des produits de luxe. Le Walmart Birkin n’est pas le premier et certainement pas le dernier dupe d’un grand sac de luxe à fleurir telle une petite pâquerette et à envahir le marché, pourtant cette fois, il pourrait s’agir d’une sérieuse menace pour Hermès qui émerge dans un contexte de frustration des clients du luxe, contribuant au ralentissement de l’activité de nombreuses marques. Même si Hermès a réussi à passer entre les filons de cette crise généralisée du luxe, enregistrant même une hausse de 11 % de ses ventes au troisième trimestre par rapport à l'année précédente, la marque pourrait bien être elle aussi victime de ce cataclysme si ce dernier devait s’éterniser. 

L’ironie du succès du Wirkin réside principalement dans le couteau à double tranchant qui caractérise l'essence même du Birkin et de son succès aujourd’hui : si son inaccessibilité représente initialement tout le luxe, l’exclusivité et la qualité qui le définissent, elle représente surtout pour le commun des mortels une envie encore plus palpable de se procurer un modèle similaire, quitte à se contenter d’une version en plastique pour se rapprocher un peu plus de ce cercle très fermé que représente la Maison Hermès. Selon une enquête conduite par HBSC, depuis la pandémie, les prix des produits de luxe auraient augmenté en moyenne de 54%, soit plus du double d’il y a 4 ans, faisant des contrefaçons une solution certes peu idéale mais abordable et disponible en clic pour les consommateurs. Et si les clients du luxe insensibles à la crise ont remarqué que les prix augmentent, on ne peut pas en dire autant de la qualité des produits. Face à un marché de la contrefaçon de plus en plus sophistiqué, doué dans l’art du paraître et attentif aux moindres détails, les grandes marques ont de quoi s’inquiéter. 

Pourtant en ce qui concerne la légalité de ces copies, pour Walmart en particulier, les choses ne sont pas si simples: bien que les vendeurs sur Walmart.com ne prétendent pas que leur sacs soient des Birkin authentiques, ces derniers ainsi que la plateforme elle-même pourraient se retrouver dans de beaux draps si la marque décidait que ces contrefaçons violent l'habillage commercial du Birkin (sa conception et sa configuration qui les différencient des autres sacs du reste du marché, bien entendus protégés par Hermès). Pourtant si ces copies ne sont pas tout ce qu’il y a de plus éthique, le fait de se les procurer sur une plateforme officielle et légale rend leur achat un tantinet plus légitime, comme l’explique Alli Elmunzer, avocate spécialisée dans les marques et fondatrice du cabinet Influencer Legal. « Les gens ont davantage l'impression que c'est Walmart qui l'a créé et qui le vend, ce qui le rend presque légitime en tant que contrefaçon », a-t-elle déclaré à BOF. Ils se disent : « D'accord, cela vient de Walmart. Si Walmart le fait, c'est que c'est légal ». 

Cette disponibilité immédiate et assumée de la contrefaçon pourrait bien initier un cercle vicieux : des imitations de pièces de luxe sont disponible en grande quantité et de grande qualité, les consommateurs ne se privent pas, les pièces (fausses ou vraies) font le tour des réseaux sociaux, d’autres consommateurs décident qu’il doivent les posséder à tout prix, ils puisent dans le grand stock du marché de la contrefaçon, et ainsi de suite. L’idée n’est même plus celle de posséder un sac de qualité et une pièce intemporelle, ce que cherche le client, c’est l’acquisition d’un statut social, quitte à sacrifier son éthique et sa légitimité pour l’obtenir. Le succès du Wirkin devrait ainsi faire office de rappel aux marques de luxe qu’un grand nombre de consommateurs jette son dévolu sans vergogne et surtout sans culpabilité aucune sur des imitations à défaut de pouvoir déverser des prix inatteignables et peu réalistes, qui dans tous les cas ne correspondra pas à la qualité attendue. Il est temps pour les grandes maisons du luxe de recalibrer leurs offres et de se réaligner avec leur clientèle avant que cette dernière ne déserte complètement leurs magasins, bien qu’ils soient bien plus jolis que les grandes allées du Walmart.