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Pourquoi défiler lors d'une fashion week au calendrier vide ?

La révolution des défilés de mode mixtes quitte le mois de la mode

Pourquoi défiler lors d'une fashion week au calendrier vide ? La révolution des défilés de mode mixtes quitte le mois de la mode

La prochaine Milan Fashion Week Men’s FW25, prévue du 17 au 21 janvier 2025, a été annoncée cette semaine lors de la conférence habituelle de la Camera della Moda Nazionale Italiana. Et si nous sommes déjà habitués à une semaine de la mode masculine plutôt légère, celle qui nous attend ressemblera davantage à un long week-end et sera surtout assez vide. Malgré la présence de grands noms comme Prada, Zegna, Dolce & Gabbana, Armani et Magliano, les nouveautés se font rares. De nombreuses marques iconiques, comme Gucci, Fendi, Etro et Dsquared2, ont en effet opté pour des défilés co-ed pendant la semaine de la mode féminine en février, unifiant ainsi leurs efforts pour une Fashion Week féminine qui méritera davantage ce nom, du moins en termes de format. Cela dit, cette situation soulève de sérieuses questions sur le rôle et l’avenir de la semaine de la mode masculine à Milan, tout en mettant en lumière le fait que la pluie de défilés co-ed sur laquelle de nombreuses marques misent pourrait être la conséquence d’une crise qui a poussé beaucoup à rationaliser leurs finances. Ces dernières années, les coûts exorbitants liés à l’organisation de défilés ont conduit de nombreuses marques à repenser leurs stratégies : les plus grandes misent tout sur un seul événement ou adoptent même d’autres formats, comme l’ont fait ces dernières années Celine et Maison Margiela ; tandis que les marques plus jeunes (souvent cantonnées au statut d'"émergentes" pendant une décennie) doivent se contenter des classiques présentations, avec une visibilité réduite et un impact limité. Dans un monde de la mode de plus en plus saturé et de moins en moins rentable, les défilés sont-ils un luxe que le luxe ne peut plus se permettre ?

@maisonmargiela

Maison Margiela Artisanal 2024 ‘Nighthawk’ A film based on an original concept by @JGalliano and directed by @Kasiuha Premiere today, September 30th at 8.30 p.m. CET On Instagram, Youtube, and MaisonMargiela.com

original sound - Maison Margiela

Non seulement ce scénario met en évidence l’absence d’un système efficace pour soutenir les jeunes designers, favorisant à la place des marques étrangères et des wardrobe brands qui mériteraient peut-être davantage le cadre de Pitti Uomo que celui de Milan, mais il crée aussi un vide qui nuit à la créativité et à la pertinence de Milan sur la scène internationale. « Where Are the Brands? Milan Men’s Fashion Week Calendar Offers Soft Start to 2025 Season », titrait avant-hier WWD, en confrontant l’industrie mondiale et ses insiders au fait qu’une seule marque, MSGM, ait choisi d’être présente dans le calendrier avec une fête – un nouveau format dont on sait encore peu de choses mais qui semble proche des récents efforts de Moncler et Stone Island, et qui, comme souvent avec la marque de Massimo Giorgetti, devrait inclure sa communauté milanaise dans une perspective moins rigide que le classique programme de défilés. Et peut-être que le problème principal de cette situation réside justement dans la dépendance excessive au défilé de mode comme unique moyen de communication. Des alternatives telles que des événements interactifs, des installations artistiques et des moments d’échange culturel pourraient offrir de nouvelles opportunités, tant pour les marques établies que pour les jeunes talents, mais pourraient surtout aller bien au-delà de ce que peut atteindre un concept "classique" de défilé, qui est devenu le fossile de lui-même : des spectateurs qui filment plus qu’ils ne regardent, des front rows pleines de célébrités rémunérées, des collections dont seulement 2 % arriveront en magasin. Sans parler de la manière dont Milan, en tant que ville, pourrait grandement bénéficier d’une approche plus inclusive et diversifiée, intégrant la mode à d’autres expressions culturelles, attirant ainsi une communauté de la mode qui l’anime déjà et valorisant son rôle de capitale de la mode.

Déjà l’année dernière, la marque anarchique HG/LF avait présenté sa collection par le biais d’un spectacle théâtral, tandis que PDF de Domenico Formichetti avait transformé sa présentation en un défilé-concert, qui, bien que peu relayé par les médias traditionnels, avait été largement partagé sur les réseaux sociaux par de nombreux jeunes étudiants et passionnés de mode. Ces deux événements ont déplacé le centre d’attention de la mode de luxe élitiste et des logiques de marché connues mais lassantes vers une mode plus "authentique", tant du point de vue de l’immédiateté créative que de la connexion avec le public. Mais il est important de préciser que nous ne parlons pas uniquement de marques alternatives ou destinées à un public plus jeune – l’idée d’une présentation communautaire est celle qui a propulsé Diesel lors des premières collections de Glenn Martens, lorsqu’ils ont organisé des fêtes et des raves ouverts à des milliers d’étudiants en mode, qui, pour certains, sont restés pour danser et regarder le show malgré la pluie. Même Moncler et sa stratégie promotionnelle sont un exemple parfait d’innovation réussie : du show pharaonique sur la Piazza del Duomo au lancement de la collaboration avec Pharrell au Portrait Milano, accompagné de performances live, tous les événements signés Moncler lors des dernières Fashion Weeks ont eu une portée plus large que les défilés classiques, et un écho encore plus grand. Loro Piana, qui n’organise pas de défilés, a quant à lui transformé le kiosque de Via dei Giardini en un stand où l’on distribuait des gâteaux japonais au public, enveloppés dans des écharpes en soie – autant dire qu’une véritable file d’attente s’est rapidement formée devant le kiosque.

Quoi qu’il en soit, bien que novatrices, de telles initiatives s’inscrivent dans des stratégies marketing déjà bien rodées pour de nombreuses marques et peuvent donc déplacer temporairement la nature du problème sans vraiment le modifier. Le véritable défi consiste à comprendre s’il est réellement possible de briser le modèle traditionnel du défilé pour proposer de nouvelles expériences. Le défilé reste aujourd’hui le moyen le plus direct pour présenter une collection à la presse, aux acheteurs et au public mondial qui regarde tout depuis ses écrans. Mais c’est justement ce format exclusif qui suscite des doutes : si, d’un côté, le défilé a toujours été une occasion unique de présenter vêtements et accessoires, de l’autre, il a aussi créé une distance croissante entre les marques et leur public, rendant difficile une interaction directe. Comme si cela ne suffisait pas, ces dernières années, ce format traditionnel est également devenu de plus en plus coûteux, et même les grandes marques ont décidé de réduire le nombre de shows, probablement pour des raisons stratégiques, voire économiques. Cette tendance soulève une question importante : pourquoi continuer à insister sur une "Fashion Week" qui, en réalité, n’a de "Week" que le nom, alors qu’elle est devenue un événement dilué et si peu impactant ? Ne serait-il pas temps d’expérimenter des approches alternatives, qui respectent non seulement le positionnement de chaque marque, mais tentent aussi de dépasser le cadre désormais limitant du défilé ? Cela sans mentionner l’absence d’initiatives incluant le secteur fragile du Made in Italy dans la narration globale de Milan – initiatives pour l’instant limitées à un cadre hyper-sectoriel, comme la présentation du film de Co-Lab 18, un consortium de 18 entreprises leaders du secteur manufacturier italien.

Des événements plus orientés vers la communauté, des expériences interactives et une plus grande fusion entre mode, art, innovation et divertissement pourraient non seulement redonner à Milan l’image de capitale de l’innovation qu’elle cherche à (et prétend) être, mais aussi renforcer la cohésion et la force de la communauté locale de la mode. L’alternative à cette approche risque de conduire à des calendriers de plus en plus dilués, comme celui que nous verrons lors de la prochaine MFW en février, où les grandes marques contrasteront fortement avec les nouvelles réalités émergentes, qui peinent à obtenir de la visibilité. Cette situation ne reflète pas seulement un écart croissant entre marques établies et nouveaux talents, mais illustre également les inégalités qui, plus largement, divisent à la fois la société et l’industrie du luxe. Si les marques ne s’engagent pas dans une démarche plus inclusive et interactive, le risque est d’assister à une marginalisation accrue de ceux qui tentent de se faire une place sur la scène mondiale de la mode. nss, déjà pendant la pandémie mais aussi bien avant, avait soulevé ces questions en plaidant pour des modèles et des paradigmes nouveaux ou au moins différents, car, comme le dit Tomasi di Lampedusa dans Le Guépard, pour que tout reste comme avant, il faut que tout change. La Milan Fashion Week est-elle vraiment prête à changer ?