Les Toe Shoes s'apprêtent-elles à faire leur grand retour ?
La chaussure souvent considéré comme la plus affreuse semble devenir tendance
27 Septembre 2024
Les chaussures à orteils ou «Toe Shoes», longtemps rejetées et moquées, font aujourd’hui un retour remarqué dans l’univers de la mode. Lancées et aperçues pour la première fois en 2002 avec le modèle Vibram Five Fingers, ces chaussures, à l’apparence singulière qui enveloppent chaque orteil individuellement, avaient pour but de reproduire la sensation de marcher pieds nus tout en offrant un minimum de protection. Bien qu'elles soient initialement destinées aux sportifs et aux adeptes du minimalisme, elles ont pourtant provoqué dès leur arrivée sur le marché une réaction de rejet quasi immédiat de la part du grand public, devenant rapidement un sujet de dérision. Contrairement à d’autres pièces controversées comme les Crocs ou les sandales Birkenstock, qui ont finalement été adoptées par la collectivité, les chaussures à orteils, avec leur esthétique dérangeante, ont continué de susciter une réaction viscérale. Mais à l’heure où la mode devient de plus en plus inclusive et expérimentale, ces chaussures, autrefois taboues semblent trouver une nouvelle place, non plus seulement dans le monde du sport mais aussi sur les podiums et dans la rue.
Ce regain d’intérêt pour les chaussures à orteils peut en partie être attribué à la transformation des normes esthétiques en matière de mode. Alors que des marques avant-gardistes comme Balenciaga ont toujours eu le talent de transformer les pièces les plus improbables en icônes de style, l'introduction de leur interprétation des chaussures à orteils en 2020 pour la somme exorbitante de 1 300 dollars a permis de repositionner ces chaussures comme un objet de luxe provocateur. Cependant, cette tentative n’a pas été suffisante pour changer la perception globale. Le véritable tournant est survenu avec l’émergence de marques comme Suicoke, connue pour ses collaborations avec des designers comme Midorikawa et Takahiro Miyashita The Soloist. Des créateurs qui ont réinterprété les chaussures à orteils dans des versions plus minimalistes, plus modernes et plus raffinées, éloignant peu à peu l’image des Vibram Five Fingers des sentiers de randonnée pour les placer dans un contexte plus urbain et stylisé. L’esthétique «flat, flashy, and freaky» qui définit la mode actuelle a contribué à ce virage, où l’étrange devient désirable et où l’innovation prime sur la convention.
Aujourd’hui, cette réhabilitation des VFF s’inscrit dans une tendance plus large de la mode qui célèbre l’excentricité et l’acceptation du corps dans toutes ses formes. La montée en popularité des chaussures tabi de la Maison Margiela, qui partagent cette esthétique fragmentée des orteils, a également ouvert la voie à son insertion dans la mode contemporaine. En parallèle, le style «balletcore», qui met en avant des silhouettes élégantes et des chaussures plates inspirées des ballerines, a également permis aux chaussures à orteils de faire leur retour sur le devant de la scène. Les créateurs d’OTTO 958 et de Brandblack ont récemment présenté des modèles hybrides qui mêlent les principes du design sportif aux codes de la mode urbaine et artistique, attirant l’attention des jeunes générations en quête de pièces uniques et audacieuses, libérées des préjugés stylistiques des décennies précédentes. Les toes shoes, avec leur design à la fois radical et ancré dans une certaine idée de retour à la nature, deviennent ainsi un symbole de rébellion contre les normes esthétiques classiques, tout en offrant une plateforme pour l’expérimentation et l’expression personnelle.
L’acceptation croissante de ces chaussures découle aussi d’une nouvelle philosophie de la mode, où le post-ironie et l’absurde sont au cœur des tendances. Avec les baskets géantes chez Balenciaga ou encore les bottes gonflables de Rick Owens, rien n’est plus sacré dans cet univers où tout peut devenir cool s’il est porté avec confiance. Ce phénomène est amplifié par la recherche constante de nouveauté et d’excentricité qui caractérise les fashion weeks, où les tenues de rue sont devenues tout aussi importantes que les collections présentées sur les podiums. Des figures influentes comme la créatrice Zoe Gustavia Anna Whalen n’ont pas hésité à qualifier les chaussures à orteils d'«avenir», et cette vision semble se confirmer à mesure que ces pièces autrefois ridiculisées font désormais partie intégrante des garde-robes des amateurs de mode avant-gardiste. Ce retour inattendu et leur intégration dans les cercles de mode les plus pointus posent une question fascinante : pourquoi avons-nous, pendant tant d’années, ressenti une telle aversion pour ces chaussures, et comment se fait-il que leur bizarrerie soit aujourd’hui célébrée ? Dans un monde où la frontière entre le laid et le beau s’efface, les chaussures à orteils ont trouvé une nouvelle vie, non plus comme une curiosité fonctionnelle, mais comme une affirmation audacieuse du pouvoir subversif de la mode.