Pourquoi la « Bar Jacket » est-elle toujours à la mode ?

Conçue en 1947 par Christian Dior, la Bar Jacket tire son nom du bar de l'hôtel Plaza à Paris, où les femmes de la Café Society de l'époque portaient les « nouveaux » costumes à jupes amples et vestes serrées sur les hanches, créés par le créateur français et présentés dans sa première collection de Haute Couture après la Seconde Guerre mondiale. Dans la mode contemporaine, la veste Bar, soixante-dix-sept ans après ses débuts sur les podiums, reste un vêtement pertinent, dont la silhouette en sablier a inspiré et influence encore les choix stylistiques des créateurs du système de la mode. La ligne a Corolle de la jupe plissée et la veste en huit créées par Dior sont devenues des symboles d'épanouissement après des années où les maisons de haute couture de Paris ont été contraintes de fermer en raison de l'occupation nazie et de la pauvreté causée par le conflit mondial. Cette nouvelle architecture conçue pour le corps féminin offre aux femmes une silhouette sensuelle et harmonieuse qui contraste avec la garde-robe austère créée par Coco Chanel dans les années 1920, avec des couleurs sombres, des lignes confortables et fonctionnelles, libérées des corsets de la Belle Époque. Malgré le fait que les mouvements féministes de l'époque détestaient cette silhouette qu'ils considéraient comme une cage du patriarcat empêchant les femmes de bouger et de travailler, la veste à barre a néanmoins connu un grand succès. Aujourd'hui encore, la veste sablier est une star des tapis rouges et des défilés.

La manifestation la plus récente du retour de la veste en huit s'est produite cette année à la Mostra de Venise, où Taylor Russell a porté sur le tapis rouge un tailleur Dior de la collection Misia Diva SS95 de John Galliano. Le costume, dans le plus pur style Office Siren, comportait des épaules rembourrées, une jupe crayon au-dessous du genou et une veste à la taille très étroite, semblable à celle d'un corset. La collection en question s'inspirait des vêtements de la Belle Époque et plus particulièrement du style de Misia Sert, amie de Picasso et muse de Renoir. Galliano en avait fait une version en 1994 pour le clip de Take a Bow de Madonna, mais avec des manches courtes. Le vêtement en question est d'ailleurs très similaire à un costume que Dior lui-même avait conçu en 1950 pour le look de scène de Marlene Dietrich dans Stage Fright d'Alfred Hitchcock. La chanteuse française Yseult avait également porté une reproduction fidèle du New Look (expression inventée en 1947 par la rédactrice en chef du Harper's Bazaar, Carmel Snow) sur le tapis rouge de Cannes, lors de la première de Megalopolis. Dans un article de W Magazine, Matthew Velasco avait écrit que la jeune artiste française aimait faire des déclarations sur les tapis rouges : porter le tailleur duochrome historique, jusqu'ici toujours porté par des silhouettes minces, c'est remettre en question la hiérarchie sociale des corps et permettre aux physiques non conformes aux canons traditionnels d'être représentés.

Mais la Bar Jacket a aussi été récemment portée par Kendall Jenner, Gigi Hadid et Deva Cassel lors de la deuxième édition de l'événement Vogue World, qui s'est déroulée en juin dernier à Paris, place Vendôme. Traçant l'histoire de la mode française, les mannequins ont défilé lors de l'événement en tant que jeunes cavalières portant les vestes Bar qui faisaient partie de la tenue équestre des femmes de la haute société française depuis les années 1950. D'un autre côté, certaines, comme Rihanna, ont choisi de modifier le New Look historique de Dior en le rendant plus contemporain. Lors du dernier défilé Haute Couture de Dior, la chanteuse a porté un tailleur noir qui reprenait la forme de la veste Bar classique, en la déconstruisant : au lieu de la soie, il était fait d'un tissu semblable au tissu imperméable des vestes polaires ; même le chapeau en raphia typique avait été remplacé par une casquette de base-ball, en signe de modernité. La silhouette en sablier de la veste Bar a inspiré au fil du temps aussi bien les anciens de la mode que les créateurs de la nouvelle génération.

Jean Paul Gaultier, par exemple, a confectionné des costumes à rayures de forme sinusoïdale pour certaines collections au début des années 1990. Dans le Blond Ambition World Tour, Madonna porte l'une de ces combinaisons avec l'ajout de deux découpes sur le décolleté pour montrer le soutien-gorge conique (le soutien-gorge pointu). Plus récemment, dans la Couture Printemps 2024 de la maison française Simone Rochas, on retrouve des vestes de bar de style coquette avec des côtés larges, des broderies en relief et des nœuds. Il n'est pas étonnant qu'Azzedine Alaïa et Thierry Mugler, grands amateurs de corsetterie, comme Gaultier lui-même, aient utilisé la veste sablier pour leurs créations. Le créateur tunisien a réalisé en SS92 des vestes moulantes à décolleté en cœur encadrées de dentelle blanche auxquelles l'actrice Winona Ryder d'abord et, plus récemment, Alexa Demie ont redonné une allure gothique. Mugler, fasciné par l'érotisme des corsets et des costumes burlesques, créait dans ses défilés des vestes à taille de guêpe portées avec des minijupes et des jarretelles (Spring Couture 1997), que l'on retrouve dans des clichés bien connus d'Helmut Newton au début des années 1990 et dans les collections récentes sous la direction créative de la styliste Casey Cadwallader, notamment dans le Pre-Fall 2024. Récemment, Kendall Jenner et Zendaya ont également porté des costumes d'archives Mugler avec des lignes de sablier similaires lors d'apparitions publiques. 

Dans la même veine, Dolce&Gabbana a proposé pour la FW24 des vestes sablier à double boutonnage avec revers en satin, combinées avec des bérets et des voiles. Au cours de la même saison, Versace en SS24 et Andreas Kronthaler pour Vivienne Westwood ont également réinterprété la silhouette en utilisant des tissus autres que la soie classique. Versace a confectionné des costumes sans cols entièrement en cuir, tandis que Kronthaler a inclus dans sa collection des vestes écossaises très légères, comme celles que portait souvent Westwood elle-même. On peut voir des variantes contemporaines de la veste sablier dans les collections FW24 de Bottega Veneta et Resort 2025 d'Alexander McQueen, sous la nouvelle direction créative de Séan McGirr qui a réintroduit des vestes avec ce type de coupe qui a toujours été une signature de la marque. Toujours dans le Resort 2024 de Balenciaga, Demna a accentué la sinuosité de la silhouette en créant sa veste Hourglass - l'un de ses vêtements les plus identifiables. Une autre version est apparue dans la FW24 de The Attico avec des épaules très débordantes associées à un pantalon cargo ou portées comme une robe de soirée. Cette silhouette a rencontré le goût de créateurs comme Thom Browne qui l'a reprise dans ses collections (Couture automne 2024), mais aussi Yohji Yamamoto qui a proposé une variante déconstruite avec des chutes de tissus sur les épaules créant presque un effet incomplet sur le vêtement, ou encore Nicolas Ghesquière chez Louis Vuitton qui, pour le Resort 2025, a créé des vestes et manteaux enveloppants associés à des chapeaux rigides à larges bords. Et cette forme a fasciné Lucie et Luke Meier chez Jil Sander qui, pour la FW24, ont créé des vestes et cardigans aux silhouettes en sablier dans des couleurs pastel en version minimale.

Dolce&Gabbana FW24

Thom Browne Fall 2024 Couture

Jil Sander FW24

Yohji Yamamoto FW24

Versace SS24

The Attico FW24

Louis Vuitton Resort 2025

Andreas Kronthaler for Vivienne Westwood SS24

Balenciaga Resort 2024

Bottega Veneta FW24

Alexander McQueen Resort 2025

Même chez Dior, après la mort du fondateur en 1957, les nouveaux directeurs créatifs, d'Yves Saint Laurent à Maria Grazia Chiuri, ont préservé l'héritage stylistique de la veste Bar en la réintroduisant dans les collections et en y apportant une touche personnelle. Marc Bohan, par exemple, qui a dirigé la maison de 1960 à 1989, a compris la valeur stylistique de la veste de bar au point de la proposer comme robe de mariée dans la Couture de 1987.  La veste Bar rencontrera le goût baroque et romantique de Gianfranco Ferrè, le maximalisme théâtral et transgressif de John Galliano et le minimalisme de Raf Simons. En février dernier, la veste emblématique de la mode française est revenue sur le grand écran, racontée dans la série The New Look de Todd A. Kessler, qui retrace la genèse de la veste Bar. Kessler, qui retrace la genèse du costume, la carrière de Christian Dior, les drames et les rivalités avec Coco Chanel, Pierre Balmain et Cristóbal Balenciaga, eux aussi protagonistes du processus de changement que connaît la mode à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La veste de bar a été le symbole d'une société qui renaît, elle a traversé le temps et, plus que d'autres vêtements, elle a la capacité transformatrice d'imaginer, de modeler et de sculpter le corps en reproduisant une silhouette qui peut s'adapter à différents physiques et qui, bien que nostalgique et d'une certaine manière traditionnelle, continue de fasciner.

L'actuelle directrice de la création, Maria Grazia Chiuri, a réussi à rajeunir définitivement la veste de bar en redessinant sa construction rigide et en utilisant des tissus plus souples pour le rembourrage interne, ce qui en fait un vêtement confortable et fonctionnel pour la garde-robe de tous les jours. Témoignant de l'importance que la créatrice accordait et accorde encore aujourd'hui à ce vêtement historique, Chiuri a réalisé en 2022 un documentaire intitulé The Greek Bar Jacket, disponible sur la chaîne YouTube de la marque, dans lequel elle raconte les origines et le processus de construction de la veste dans l'atelier du tailleur et brodeur grec Aristeidis Tzonevrakis.