Quand Jean-Paul Gaultier était le directeur créatif d'Hermès
Et qu'il jouait avec des fouets, des Kelly et des Birkin en cuir exotique
24 Mai 2024
2003 est l’année où l'enfant terrible de la mode Jean-Paul Gaultier devient le directeur créatif d'Hermès. À cette époque, des designers comme Tom Ford, John Galliano, Alexander McQueen et Marc Jacobs mènent un projet culturel en réponse au minimalisme des années 90 - les éléments disruptifs du y2k n'étaient qu'une partie du processus de démantèlement de ces codes esthétiques cachés derrière la netteté des costumes rayés ou des uniformes de bureau déstructurés. Jean-Paul Gaultier, quant à lui, avait déjà initié une profonde transformation de l'industrie de la mode en construisant un type de langage fait de corsets, d'imprimés ethniques, de marins sexy et de collaborations avec des artistes culturellement pertinents sur la scène pop internationale.
Sa nomination en tant que directeur créatif de la maison française s'inscrit dans les années des acquisitions et de la structuration des grands groupes de luxe : Gucci Group NV acquiert Saint Laurent en rivalisant avec LVMH, le groupe Prada est prêt à intégrer Helmut Lang, tandis qu'Hermès conclut des accords commerciaux avec Jean-Paul Gaultier, en obtenant une participation de 35% dans sa marque. « L'accord entre Hermès et Gaultier, l'éternel enfant terrible de la mode française, représente un rite de passage personnel qui pourrait faire passer sa marque de culte à une marque majeure. Le passage démontre également que les designers indépendants ont besoin d'un partenaire puissant pour survivre dans un monde de plus en plus dominé par les conglomérats du luxe » écrivait Suzy Menkes dans le New York Times en 1999. Le partenariat, il en va de soi, présentait déjà des précédents vestimentaires : Jean-Louis Dumas, alors président d'Hermès, portait des pulls à rayures marinière de Gaultier en les nouant au dessus de ses costumes, tout comme le designer célébrait les cravates de la maison, en les nouant à hauteur de son camp. « Je crois que Gaultier a la capacité d'être ce qu'Hermès est devenu », peut-on lire dans le New York Times - une rencontre d'amour plus qu'un accord commercial, qui amènera le styliste à la direction créative d'Hermès, juste après l'intervalle de Martin Margiela.
Les collections de Jean-Paul Gaultier pour Hermès
Lou Doillon avec une veste en cuir, des vêtements d'écuyère encadrés d'une chevelure volumineuse portée de manière naturelle et un fouet à la main : la FW04 d'Hermès capturait l'esprit chaotique et indiscipliné d'un créatif largement acclamé par la critique face à la dimension granitique du luxe d'Hermès. Sur des bottes de foin disposées le long du camp d'entraînement équestre de l'École Militaire, le public interagissait avec des chapeaux haut de forme, des fouets, des tenues d'écuyères, des jupes en daim jusqu'aux genoux, des cardigans à col en fourrure amovible et des écharpes à franges si longues qu'elles en devenaient des manteaux luxueux. L'orange, la couleur distinctive de la marque, avait été désacralisé sur des vestes sportives ou outerwear plus décontractées. Le match Gaultier-Hermès joue sur un équilibre précaire entre des opposés qui cherchent une zone de convergence entre la verve chaude et maximaliste du premier et la palette neutre du second. Une intersection qui, avec la collection FW07, atteint une pleine maturité sous forme de bomber et de vestes noires en cuir de crocodile, de jupes crayons à volants, de casquettes de motard, de costumes en tweed marron, de robes en maille dans des tons automnaux et même de smokings pour homme prêtés à une dandy féminine - le ton plus théâtral et dramatique de Gaultier coexiste avec la méticulosité requise pour la confection d'un produit de luxe. L'imaginaire d'Hermès, déjà précédemment marqué par la vision et les layerings privés de logo de Martin Margiela, se charge d'une sensualité et d'une dose voilée d'ironie, étrangère à la narrative de la marque que Gaultier présentera sur les défilés jusqu'à sa dernière collection pour Hermès, la SS11. « Gaultier fait ses adieux à Hermès avec l'écuyère andalouse », titre l'un des articles que le web restitue en cherchant des témoignages sur le travail du designer au sein de la maison de luxe par excellence. Combinaisons en cuir noir, pantalons serrés et cintrés, une parade de bottes d'équitation couleur beurre et des robes en maille serrées par des corsets en lézard verni présentés dans un vrai manège : avec de vrais chevaux et cavaliers en arrière-plan, le show a clôturé en grande pompe la saga de Gaultier chez Hermès.
Les sacs et accessoires de Jean-Paul Gaultier pour Hermès
Si pour les collections prêt-à-porter, Gaultier a canalisé son génie créatif dans une théâtralité toujours respectueuse de l'ADN d'Hermès, ce sont les accessoires qui ont trouvé les récepteurs disposés à l'expérimentation de son codage hyper narratif. Dès ses premiers défilés, l'enfant terrible de la mode avait proposé une version de la Birkin de 25 cm, détrônant le modèle le plus populaire de 35. Sur TikTok, archive interactive de référence pour tout passionné de mode, ses sacs ont trouvé une nouvelle vie aujourd'hui : d'abord la JPG Shoulder Birkin, puis la Kelly Pochette, la clutch Medor et Lindy et encore la Kelly Cut, Danse ou Picnic sont devenus les fétiches de créateurs, revendeurs et aspirants divulgateurs dans le domaine de la mode. Gaultier a compressé et allongé la Birkin en un sac y2k, en a fait une version illusionniste en 2009 (la Shadow Birkin) et, avant même que nous parlions de tenniscore, en avait fait défiler une variante en lézard crème avec une balle de tennis assortie. Des détails des sacs, comme la fermeture en laiton, il en avait proposé une adaptation vestimentaire en les plaçant sur des manteaux couleur camel, sur des gants, des bottes et même sur des corsets ressemblant à une selle - les sacs comme éléments à intégrer dans la garde-robe d'Hermès. La Kelly, réalisée en osier et cuir ou transformée en une pochette très souple à porter à la ceinture ou même comme soutien-gorge, prend les contours d'un Teddy Bag en 2005. Comme pour souligner l'idée que la mode, à cette période précise, jouissait d'un luxe que nous avons peut-être oublié : l'ironie proverbiale et insouciante de ceux qui n'avaient à libérer personne de rien. De ceux qui, avec les vêtements, pouvaient carrément s'amuser.