Les fabuleuses années 60 de Miu Miu

Miu Miu est le défilé le plus attendu de la Paris Fashion Week et la marque la plus en vogue de l'année pour une raison : depuis le défilé SS22 où toute une génération a vu Dieu sous la forme d'un ensemble crop, la marque de Miuccia Prada a réussi comme personne d'autre à raconter le présent. Et non pas en racontant ses problèmes, ses doutes ou ses conflits, mais ses goûts, ses intérêts, son zeitgeist - ce qui est ironique étant donné que le défilé FW24 de la marque qui a récemment eu lieu à Paris semble évoquer les années 60 avec ses manteaux, ses perles, ses robes-chemisiers, ses encolures bateau, ses jupes ballon qui, en effet, ont été conçues pour la première fois par Balenciaga en '58. L'idée est de créer une garde-robe "idéale" qui reconstruise la vie d'une personne à travers ses différentes phases, des vêtements d'enfance, qui rappellent le passé par leur construction et leur ajustement serré, jusqu'à ceux de l'âge adulte qui semblent être inspirés des décennies suivantes. Et si la passion de Mme Prada pour certains modèles d'antan est bien connue et encore mieux documentée, il ne faut pas croire que ce défilé était une ode au vintage, c'est bien le contraire. Contemporain et démodé se sont retrouvés côte à côte plusieurs fois sur le podium : l'un des looks mélange la jupe à une veste en polaire grise portée sous un blouson coupé comme une veste aviateur ; les vestes très courtes laissent parfois tomber un chemisier jusqu'au niveau des cuisses créant l'effet des hauts peplum des années 2000, évoqué dans un ensemble de denim très ajusté et à taille basse qui rappelle de manière assez discrète l'époque Indie Sleaze.

Ceux de Miu Miu sont des années 60 plutôt post-modernes, donc, repensés et disciplinés dans leurs formes et couleurs et surtout privés de leur naïveté originelle pour adopter une attitude plus délibérée. Un point de vue qui fait reconnaître, parmi les différents looks, aussi une forte tendance des années '90 qui se matérialise dans la palette de couleurs maîtrisée, dans la sévérité des vestes et chemises et dans les lunettes de soleil d'un noir profond. La juxtaposition de vêtements de différentes époques et destinations veut représenter la tension entre le passé et le présent qui existe dans le souvenir de tous : nous nous habillons en adultes avec les goûts acquis dans l'enfance. La femme Miu Miu (on ne peut pas parler de "fille" seulement, d'autant plus que le podium a été honoré cette année par la légendaire Kristin Scott-Thomas ainsi que par Angela Molina et d'autres mannequins plus matures) est rebelle mais confortable : même si sa tenue repose sur les tropes classiques de la bourgeoisie vestimentaire, il y a toujours un élément qui brise et anime l'ordre, comme dans ce cas les bottes hautes et les gants de gardien portés avec des jupettes et des tailleurs ou bien le col de chemise débraillé qui dépasse du manteau en une cascade de perles ; mais il arrive aussi le cas contraire où, c'est-à-dire, une tenue plus sportive ou décontractée trouve son éclat dans un élément plus élégant comme la fourrure.

Ailleurs, le jeu se joue sur la longueur des vestes : les très courtes sont un élément décoratif pour l'alternance de couleurs et de textures qu'elles offrent avec les bas et les chemises sous-jacentes ; les semi-longues deviennent une sorte de robe cocktail d'où émergent des jambes portant de collants colorés. Il y a aussi des robes de satin couleur champagne délicieusement froissées, dont la légèreté contraste avec les gants, les écharpes et les lunettes, qui représentent presque le type de force qui vient de la protection ; et des touches coquines autant dans les petites robes noires, où une découpe s'ouvre juste au-dessus du bas du dos, que dans les pantalons cousus dans le même popeline de coton des chemises devenant une sorte de mélange entre uniforme ou pyjama dont les proportions généreuses suggèrent la praticité cool de ceux qui choisissent un minimalisme fonctionnel pour leurs tenues et laissent parler de fantaisie les accessoires. Beaucoup d'éléments qui coexistent simultanément dans la dimension personnelle de chacun tout comme les souvenirs d'enfance et les prises de conscience de l'âge adulte résonnent en chacun de nous - les reliant tous par le fil rouge de l'identité.