Marseille est-elle en train de devenir la nouvelle capitale culturelle de la France ?

Il y a eu ces dernières années une vague de déplacements notable des créatifs de Paris (et bien d’autres villes) pour Marseille. Et cela a commencé bien avant que Chanel ne présente son défilé Croisière 2025 à la Cité Radieuse de Le Corbusier et que TimeOut ne désigne Notre-Dame-du-Mont comme le quartier le plus branché du monde en 2024. En réalité, ce mouvement se construit depuis plus de dix ans et a atteint son apogée pendant la pandémie, alors que de nombreux Parisiens y ont déménagé, attirés par un coût de la vie plus bas, un immobilier plus accessible, un climat agréable toute l’année et un mode de vie plus détendu. Comme l’explique le Financial Times, ces facteurs l’emportent sur la “réputation rugueuse” de la ville. Avec une scène culturelle en pleine expansion, des boutiques comme Jogging d’Olivier Amsellem, des festivals comme Actoral, une scène artistique émergente et une Slow Fashion Week à venir, la plus ancienne ville de France vit-elle réellement une renaissance culturelle et créative ? Nous avons interrogé ceux qui ont fait le choix de vivre à Marseille, et ceux qui s’apprêtent à le faire : qu’est-ce que ça change de vivre à Marseille par rapport à Paris ?

“Il y a ici une énergie qui semble fraîche, brute et pleine de possibilités—il faut la vivre pour vraiment la comprendre,” confie Parysatis Peymani, cofondatrice de Harmony Homes et propriétaire de la location élégante Maison Abi à Marseille. Après avoir étudié à NOEMA et l’IFM, Paris s’imposait naturellement à elle. Après tout, c’est le cœur de la mode, du business et de la culture en France. Mais si la capitale est incroyablement inspirante, elle peut aussi être intensément oppressante. Elle explique : “C’est une ville qui te pousse à rêver grand,” ce qu'elle a fait, un élan qui l’a finalement menée à Dubaï pendant quatre ans. “J’ai adoré l’énergie [de Dubaï], l’accès à l’art, au design et à l’architecture, et les rencontres incroyables que j’y ai faites. Mais avec le temps, j’ai ressenti le besoin de revenir en France.” Cette fois, cependant, ce ne fut pas Paris. Elle a choisi Marseille. “Paris était incroyable, mais à un moment donné, je me suis sentie déconnectée de la nature, surtout du manque de soleil, et de la sérénité que je recherchais. Je me souviens de ce moment sur la corniche de Marseille au coucher du soleil : sentir la chaleur, entendre la mer et les mouettes, et réaliser que c’était ce que je voulais.” Après quelques années ici, regrette-t-elle Paris, mis à part l’adrénaline du quotidien et la beauté d’une promenade parisienne ? “Un peu de prévisibilité !” dit-elle en riant, avant d’ajouter : “Marseille est plus sauvage !”

Après 11 ans à Paris, Charlie Rocher-Beziat a décidé de quitter son poste de directeur en relations publiques, sans objectif précis, si ce n’est prendre du recul sur sa carrière. Plus d’un an plus tard, il se trouve toujours dans le même quartier animé de Marseille qu’il avait choisi comme refuge temporaire pour son année sabbatique. Marseille lui a rappelé toutes les villes qu’il aimait, comme Bruxelles, Berlin et Londres—en particulier le quartier de Dalston, où il a vécu. “Le mélange des cultures, les sons et les odeurs de la ville, la vie nocturne vibrante et la créativité en constante évolution me rappellent mes trois années à Londres, avec un certain esprit de liberté et un plaisir évident à lâcher prise.” Très vite, il co-fonde Basso_Combo avec d’autres nouveaux Marseillais. D’abord pensé comme un prétexte pour rassembler des gens à travers des soirées, le projet a évolué pour proposer des événements autour de la musique et de la gastronomie. “Je dois cette réussite personnelle et collective à plusieurs choses : la douceur de vivre, le soleil presque quotidien qui instaure une atmosphère propice à la fête, l’horizon marin qui inspire immédiatement un sentiment de liberté, une nouvelle génération de Marseillais engagés politiquement et soudés autour de valeurs humanistes, anti-capitalistes et communautaires, et une volonté collective de se retrouver et de profiter de la nature.” Même s’il admet que l’énergie des salles de restaurant parisiennes est unique, Rocher-Beziat considère Marseille comme un terrain de jeu idéal pour sa nouvelle vocation de chef. “Sa culture méditerranéenne et ses ingrédients riches en histoire m’ont permis d’explorer ma passion pour la cuisine sous un nouvel angle,” confie-t-il.

Bien que Marseille ne convienne pas à tout le monde, certains en sont venus à apprécier ses différences avec Paris—comme le fait de n’avoir que deux lignes de métro et un rythme de ville côtière marqué par une forte saisonnalité, avec de nombreux lieux fermés en hiver. « Marseille n'est pas apparu comme une évidence, » raconte Axel, un commissaire d’exposition et critique d’art, à nss. « Marseille, en comparaison, apparaissait comme un chouette antidote, » dit-il, tout en reconnaissant que la ville n’est pas un bastion évident pour son secteur professionnel. « Marseille est presque par définition synonyme de contre-culture, alors les membres de communautés artistes se regroupent beaucoup au sein d'espacés auto-gérés, de petites structures associatives » Cela complique la tâche des galeries, bien qu’il sente que la situation évolue avec des lieux comme Sissi Club. Il ajoute que, bien qu’il y ait des ateliers et des écoles, Marseille dispose encore de moins de grands incubateurs ou d’ateliers d’artistes qu’à Paris, où l’on trouve Poush, La Tour Orion et la Cité Internationale des Arts—des lieux qui rassemblent d’excellents artistes en un même espace. Toutefois, il souligne que ce manque est rapidement compensé par le temps qu’il gagne pour réfléchir et créer. « Pour l'instant, je reste parce que Marseille parce que la lumière est extra-ordinaire, que je vis au bord de la mer et que je vois le soleil qui se lève sur les îles en même temps que moi le matin et que jusqu'ici, je n'ai pas encore connu l'été. La ville présente aussi pas mal d'aspect rebutant. Ce n'est pas pour tout le monde, et je ne suis pas sur non plus que ce soit pour moi - on aura peut-être l'occasion d'y revenir - mais la lumière, la minéralogie très ancienne - quasi-mythologique - le passé migratoire et la réalité sociale de la ville crée des images et des scènes presque irréelles au sein desquels je veux encore évolue ».

Nous avons entendu parler de ceux qui ont déjà déménagé, mais qu'en est-il de ceux qui sont sur le point de le faire ? Eddie Laruffa, qui travaille dans un showroom français à Paris, se prépare à déménager dans le sud cet été. Originaire de Montpellier, la décision peut sembler facile à prendre, mais il admet qu'il n'est pas certain de l'impact que cela aura sur sa carrière, même s'il reste optimiste. « Paris est énorme en termes d'opportunités, de créativité et de collaboration, mais en même temps, c'est devenu beaucoup trop rapide pour moi », note M. Laruffa, qui s'est installé à Paris en 2014. Père célibataire d'un enfant, il a ressenti le besoin de ralentir et d'avoir plus de temps pour lui, et bien plus encore : « J'ai besoin de plus de soleil et de ciel bleu. Le temps qu'il fait à Paris, surtout en hiver, affecte vraiment mon humeur ». Comme Rocher-Beziat et Axel, il s'est senti pris au piège de la routine parisienne : métro, boulo, dodo. Il ajoute : « Je n'avais pas assez de temps pour respirer et me reposer ». Pour ce nouveau chapitre, tant pour lui que pour son fils, il aspire à une meilleure qualité de vie, avec « plus de soleil, plus d'espace, plus de temps pour vivre spontanément ».

Pour ceux qui envisagent de s'installer à Marseille, nos sujets donnent quelques conseils. Axel adopte une approche méthodique à l'aide d'un tableur : « À vrai dire, on avait ce petit tableau Excel et on attribuait des étoiles à des villes en fonction de, si oui ou non, elle nous aurait permis de trouver un emploi, de la quantité d'amis et de repères que nous avions respectivement sur place, et du nombre de jours de soleil par ans.» explique-t-il. « Marseille l'a emporté par la lumière, parce que c'était ce qui nous plombait le plus. Ça et la quantité infini de gris qui se décline du trottoir au ciel en passant par la carrosserie des voitures aux façades des appartements, du ras-le-bol des 23 m2 au premier étage ou l'on s'entasse après un bac+5, et des gueules triste et des épaules voûtés des matinées à sillonés la ville lumière aux heures de pointes dans le métro. ». En attendant, Peymani suggère de laisser du temps au temps. « Marseille ne se dévoile pas en un week-end. Je recommande de commencer par un Airbnb à moyen terme pour voir comment vous vous sentez dans la ville. Trouvez un quartier qui correspond à votre style de vie - c'est la chose la plus importante. Le David, Endoume et Malmousque sont parfaits pour le charme et la vue sur la mer, mais ils sont bondés de touristes en été, tandis que le Cours Julien et La Plaine sont plus animés et créatifs », partage-t-elle, en ajoutant la clé à retenir : « Soyez ouvert, car Marseille est pleine de contrastes, mais c'est ce qui la rend si spéciale. »