Même les pop stars ont un directeur créatif

2024 a été une année record pour les pop stars féminines, avec Taylor Swift, Billie Eilish et Sabrina Carpenter qui ont dominé les classements de streams américains, suivies de près par Ariana Grande, Olivia Rodrigo et Chappell Roan, selon le rapport de Luminate. Cette année semble être tout aussi prometteuse : en janvier, nous avons assisté au tant attendu retour de FKA Twigs, autrice de Eusexua, tandis qu'en mars et mai, les nouveaux albums de Lady Gaga et Lana del Rey verront le jour. Lors des Grammy Awards de dimanche dernier, une flopée de chanteuse talentueuses ont brillé sous les projecteurs aux côtés de Kendrick Lamar, avec les performances les plus suivies de la soirée venant de Chappell Roan, Sabrina Carpenter et la star montante Doechii, qui a marqué l’histoire en devenant la troisième femme à remporter le prix du meilleur album rap après Lauryn Hill et Cardi B. En somme, c’est une période fructueuse pour la pop féminine, mais peut-être que peu de gens savent que derrière chaque projet réussi, qu’il s’agisse de Brat ou The Rise and Fall of a Midwest Princess, se trouvent des directrices créatives.

Le secret du succès des pop stars du nouveau siècle semble être la dévotion totale que chacune d’elles accorde à sa propre vision artistique. En plus de produire des morceaux impeccables sur le plan musical, des artistes comme Charli XCX et Sabrina Carpenter maîtrisent parfaitement l’image qu’elles projettent, des mots qu’elles prononcent aux tweets qu’elles partagent, des personnes qu’elles fréquentent (et avec qui elles sont photographiées) à ce qu’elles portent sur scène et ailleurs. À la fin de 2024, après avoir dominé les classements internationaux avec la pop électronique de Brat, Charli XCX a partagé sur les réseaux sociaux le manifesto de l’album. Parmi les définitions issues de la liste écrite durant l’été 2023, celles qui se distinguent le plus se réfèrent à la direction créative de l'album : « L'artwork sera détestable, arrogant et audacieux, certaines personnes le détesteront […] toute la campagne de l'album est de l'art élevé mais il est aussi crucial de comprendre l'importance de l’art populaire et des célébrités », confirmant ainsi à quel point la vision verte de Brat a été pensée avec ingéniosité et bien à l’avance. Si nous associons désormais la couleur verte fluo à Charli XCX, ce n’est pas seulement grâce à la chanteuse : à ses côtés, il y avait Imogene Strauss, directrice créative, collaboratrice de longue date de l’artiste britannique, et partenaire créative d'autres artistes renommés tels que Clairo et Caroline Polachek. Le rôle de Strauss dans la réussite du projet de Charli XCX a été décisif, ayant contribué à faire de Brat une vision complète, reconnaissable et immédiate. Comme Strauss l’explique dans une interview pour The Cut, le directeur créatif n’a pas pour mission de changer les artistes « ou de leur donner une identité, mais plutôt de les aider à développer la leur et à la maintenir de manière précise et cohérente ».

Des collaborations au packaging du vinyle, des graphismes et des éléments choisis pour un clip musical au styling de scène, les directeurs créatifs des pop stars aident leurs clients à canaliser au mieux le message qu’ils souhaitent partager avec le public. Une autre star qui a secoué les classements internationaux l'année dernière est Chappell Roan, qui avec son album de début The Rise and Fall of a Midwest Princess a obtenu des reconnaissances de toute l’industrie (y compris de Lady Gaga, dont l'artiste a souvent dit s'inspirer), remportant le Grammy pour Best New Artist. Tandis que Roan apportait sur les scènes du monde entier une pop des années 80, un charisme à revendre et une bonne dose de looks surréalistes, en coulisses, elle collaborait avec un trio de créatives tout aussi impressionnantes : la directrice créative Ramisha Sattar, la stylist Genesis Webb et la scénographe Maris Jones. Si cet été, nous avons été ébahis en voyant Chappell Roan sortir d’un bong en forme de pomme en tenue de Statue de la Liberté, après tout, c'est aussi grâce à elles.

Après le succès de Charli XCX et de Chappell Roan en 2024, la nouvelle année a débuté en beauté avec la sortie de Eusexua, le projet le plus ambitieux de tous pour l’artiste FKA Twigs. Comme elle le confirme elle-même dans une interview pour Spotify conduite avec Imogene Heap, avant d’être de la musique, Eusexua est né comme un concept. Comme pour ses projets passés, l’artiste a créé une narration visuelle cohérente pour accompagner chaque morceau, mais cette fois, la barre a été placée un peu plus haut avec des décors, des costumes et des chorégraphies exceptionnelles dans des clips qui, de plus, comptent la participation d’artistes confirmés comme Mowalola, Stefano Pilati, Mona Tougaard, Yves Tumor et Phoebe Waller-Bridge. Eusexua est la preuve que, en 2025, le succès d'un album pop (même si le son de FKA Twigs peut être qualifié au mieux d'alt-pop) dépend davantage de l’image que de la musique : comme elle l'explique dans l'interview avec Heap, si par le passé elle a pu développer ses idées de manière indépendante, cette fois FKA Twigs s'est sentie obligée de abandonner sa liberté artistique pour le bien du projet. Pour parvenir à « faire quelque chose de vraiment étrange », a expliqué l'artiste, « j'ai dû chercher le soutien d'une major ».

L'absolue dévotion et la recherche que les pop stars d'aujourd'hui accordent à chaque aspect de leur musique est louable et elles méritent de continuer à être célébrées. Un aspect intéressant du genre, cependant, est que malgré les changements de directeur artistique, le chanteur, la palette de l'album et les inspirations à la base du projet, l’équation à la base de chaque sortie pop est toujours la même, surtout pour les artistes appartenant à la même maison de disques. Comme le souligne Nylon Magazine, le phénomène du blanding qui a récemment touché les logos des marques a également envahi la musique pop. L’esthétique est épurée, non descriptive, sans accents intellectuels qui pourraient faire apparaître la star « plus intelligente ou plus douée que ses auditeurs » par crainte de ne pas être suffisamment « relatable ». Bien que les polices de Brat et Eusexua suivent exactement cette technique, les deux artistes ont néanmoins prouvé qu’il est possible de trouver un juste compromis entre le désir de transgression, d’anticonformisme et d'innovation et la volonté des maisons de disques de « simplifier » votre travail pour le rendre plus commercial. L'important est d'avoir une vision claire et une directrice créative talentueuse : le bon public suivra.