Pourquoi la culture du trash vit son heure de gloire

Imaginez que vous assistiez à une séance de minuit dans un cinéma indépendant reculé, le genre qui sent encore le pop-corn rassis et le cuir usé. Les lumières s'éteignent et la salle se remplit de l'impatience que seule la promesse de quelque chose de vraiment radical peut susciter. Sur l'écran, une scène du film Irréversible de Gaspard Noé s'anime, donnant le ton par sa crudité notoire et inébranlable. Le public, composé de cinéphiles chevronnés et de nouveaux venus curieux, se tortille et halète tandis que le récit plonge dans un monde où l'excès n'est pas seulement esthétique, mais aussi une forme de rébellion narrative. Ce décor résume l'essence de l'« ère du trash », un phénomène culturel où le grotesque, le tapageur et l'extrême sans complexe deviennent des vecteurs d'expression artistique.

Dans le film récent de Coralie Fargeat qui a fait un carton, The Substance, nous sommes confrontés à un récit imprégné du glamour gore de l'horreur, qui suit les exploits désespérés d'une actrice vieillissante (interprétée par un équivalent fictif de Demi Moore). Elle se tourne vers une procédure cosmétique radicale dans l'espoir de retrouver sa jeunesse, avant de sombrer dans un scénario cauchemardesque. Fargeat, à travers son objectif, assaille le spectateur avec des images qui oscillent entre la répulsion et l'humour, créant un crescendo de gore qui divertit et horrifie à la fois. L’on pourrait citer également Terrifier 3 de Damien Leone, il élève le genre gore à de nouveaux sommets - ou à de nouvelles profondeurs - avec son portrait joyeusement grotesque d'un clown tueur qui fait des ravages pendant les fêtes de fin d'année. Sans prétention de commentaire politique ou de profondeur psychologique, le film se délecte de sa capacité à repousser les limites, se délectant de la joie macabre du massacre cinématographique. Les excès de Leone constituent la colonne vertébrale du film, avec des scènes que même les aficionados les plus chevronnés de l'horreur doivent regarder sans broncher. Gaspard Noé, figure emblématique de ce mouvement, a profondément influencé le style narratif et visuel du cinéma gore et trash contemporain. Ses films sont des expériences viscérales qui mettent à l'épreuve l'endurance et le sens moral du spectateur, ouvrant la voie à une nouvelle génération de cinéastes qui utilisent des techniques similaires pour provoquer et confronter.

On parle de film, mais la musique semble également confrontée à cette tendance. L'album Brat de Charli XCX avec ses sons pop audacieux qui ont fait danser tout l’été la génération « Slay », illustre un mouvement culturel plus large qui cherche à récupérer l'outrance et l'ostentation des griffes de la décence conventionnelle. L’artiste a probablement était influencé par le label PC Music d'A.G. Cook et lui même qui adopte une approche comparable en créant des paysages sonores hyperréalistes qui brouillent les frontières entre la pop commerciale et le bruit d'avant-garde, créant ainsi une nouvelle forme d'expression musicale aussi polarisante que captivante. Dans Brat, Charli XCX célèbre le clinquant et le kitsch dans sa musique, associant des voix autotunées à des rythmes électroniques effrontés pour créer des hymnes qui relèvent autant de l'expression personnelle que de la défiance à l'égard de la société.

À une époque où l'internet offre quotidiennement une dichotomie de tutoriels de maquillage et d'images violentes, et où les paysages politiques deviennent de plus en plus théâtraux, il existe peut-être un véritable besoin pour ce type d'expression brute et sans complaisance. Des films comme The Substance et Terrifier 3, ainsi que les titres provocateurs que l’on retrouve dans l’hyper pop, ne sont pas de simples divertissements. Ils sont un reflet, une réaction et parfois un antidote nécessaire aux sensibilités stérilisées d'une société aux prises avec ses propres absurdités. Par leur approche non raffinée et sans honte, ces créateurs nous rappellent que parfois, la seule façon de faire face à un monde fou est de refléter sa folie.