La Gen-Z serait-elle frappée par une crise de solitude ?

C'est les larmes aux yeux que Serge, un jeune parisien de 20 ans, se livre dans une vidéo TikTok sur la solitude qu’il traverse, notamment dûe à la difficulté de se faire de nouveaux amis dans un ville où il vient de s’installer. Il explique: « Je viens d’arriver à Paris et je fais cette vidéo parce que je me sens très seul. J’aimerais me faire des amis, des connaissances chouettes parce que ça devient compliqué d’être seul». « Je fais de la musique, je fais de la photo, j’adore les années 1960, 70, 80, la Boum. Je cherche juste à me faire des amis qui sont passionnés, gentils, prêts à être ami avec quelqu’un de nouveau. Je ne sais plus comment on se fait des amis. Ça me manque d’être petit » , poursuit-il. Difficile de ne pas avoir le cœur fendu en voyant la vidéo qui aujourd’hui cumule 2.5 millions de vues et presque 10 000 commentaires. Visiblement touchés par la vulnérabilité de Serge, de nombreux internautes partageant cette solitude ont répondu à son appel en lui proposant de se rencontrer dans la vraie vie et de sociabiliser. Quelques jours plus tard, le TikTokeur a publié une nouvelle vidéo dans laquelle on le voit souriant, accompagné d’une foule de gens qu’il a rencontrés grâce son annonce. Il s’était exprimé plus tôt : « Je ne m’attendais pas à recevoir autant de messages, ça me touche énormément. Mon cœur n’était pas prêt à recevoir autant d’amour ». 

Malgré le dénouement positif de cette histoire qui donne du baume au cœur, elle révèle la triste réalité d’une société traversant une véritable épidémie de solitude. En 2023, l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) a déclaré que la solitude était une menace urgente pour la santé mondiale. D’après Dr Murthy, chirurgien général des États-Unis, l’isolation sociale porte des conséquences aussi nocives sur la santé que le fait de fumer 15 cigarettes ou de boire six verres d'alcool par jour. En France, 6,6 millions de jeunes âgés de 16 ans ou plus souffraient d’isolement social en 2015 selon l’INSEE. D’après une étude de la Fondation de France, 5 millions de Français étaient « en situation de solitude » en 2017, dont 2 millions de 15-30 ans, soit 18 % de cette tranche d’âge, étaient « vulnérables socialement, ne rencontrant physiquement et ne passant du temps avec d’autres personnes que très rarement ». 700 000, soit 6 % des 15-30 ans, vivaient même en situation de total isolement social. En 2020, la période de confinement a davantage fragilisé les jeunes qui se sentaient seuls, avec près des trois quarts des jeunes interrogés ont déclaré avoir été « affectés au niveau psychologique, affectif ou physique» dans une enquête réalisée par l’institut IFOP. Les raisons de ces malheureux chiffres sont multiples: la précarité qui empêche les sorties qui permettent de rencontrer du monde ou encore les réseaux sociaux qui donnent une fausse impression de connexion alors que les liens virtuels ne peuvent remplacer les relations dans la vraie vie. 

Serge n’est pas le seul jeune à avoir parlé ouvertement de son manque de vie sociale sur les réseaux sociaux. Sur TikTok, une panoplie de contenus sur le sujet peut être retrouvée sous le hashtag #pasdami. Dans ces vidéos, dont les plus populaires enregistrent jusqu’à 1 million de vues, les jeunes s’expriment entre chagrin et amertume sur la difficulté de mener une vie avec peu ou sans amis. Par exemple, @john3 s’ouvre sur la solitude qu’il ressent lorsqu’il a envie de sortir profiter du beau temps mais qu’il n’a pas d’amis qui pourraient l’accompagner. Même une personnalité d’une grande notoriété telle que EnjoyPhoenix, suivie par 3,6 millions d’abonnés sur YouTube, partage ses vécus sur les amitiés dans une vidéo qui a atteint 640 000 vues. Les commentaires empathisent avec l’influenceuse qui a longtemps eu du mal à garder ses relations amicales. Ces témoignages vulnérables corroborent les chiffres issues des études, montrant qu’un nombre important de jeunes traversent une solitude non souhaitée.  Car, comme Julianne Holt-Lunstad, une professeure en psychologie et neurosciences à l’Université de Brigham Young, l’explique: «La solitude est plus qu'un simple isolement : C'est l'expérience subjective d'un besoin d'interaction sociale plus important que celui que l'on a actuellement. Elle n'est pas non plus binaire et personne n'est à l'abri.» 

La vision stéréotypée des personnes seules se limite souvent à l’image de la femme non mariée qui vit avec des chats. Et pourtant, cette image fausse une réalité beaucoup plus complexe où n’importe qui peut être sujet à la solitude. Afin d’ optimiser les chances de rencontres, il existe des solutions comme Bumble BFF, une application spécialement pour se faire de nouveaux amis ou alors se rendre à des Meetups, des événements pour sociabiliser qui existent dans diverses villes. Toutefois, il faut prendre en compte que l’un des facteurs qui compliquent la socialisation à l’âge adulte est le manque de temps à cause du travail. Il est également important de souligner que le besoin d’interactions sociales dépend de tout un chacun. Certains se satisferont d’un appel téléphonique quelques fois par semaine avec leur meilleur ami, d’autres nécessiteront des sorties avec des nouvelles connaissances tous les vendredis. L’important est de reconnaître et accepter ses besoins sociaux pour ensuite prendre action dessus. Sortir du stigmate est également une étape nécessaire, certes éprouvante, afin de pouvoir en discuter ouvertement. Dans un monde ultra connecté qui donne l’illusion de rencontres faciles, il n’a jamais été aussi crucial de veiller les uns sur les autres.