Comment devenir designer de produits

L'homme a créé la charrue et a inventé le design de produit, un métier qui aujourd'hui porte une myriade de titres anglophones qui changent et se multiplient continuellement. Celui du designer est un métier né pour répondre au besoin de l'homme de créer des outils pour la vie quotidienne, même si avec le temps, il a évolué vers des horizons artistiques de plus en plus éloignés de l'idée d'utilité. Aujourd'hui, le rôle s'étend sur un spectre allant de la fonction à l'art, une sorte d'éventail professionnel qui s'ouvre chaque avril à Milan, donnant le coup d'envoi à un événement d'une portée colossale. Le Fuorisalone élargit son rayon d'action à chaque édition, à la fois physiquement, en s'étendant au-delà des quartiers périphériques de la ville, et conceptuellement, en impliquant de plus en plus de personnes. On l'appelle Design Week, mais pendant ces jours-là, on finit par parler de cinéma, de mode, de durabilité et de politique, des thèmes qui montrent comment, même dans un secteur fragmenté comme le design, la créativité peut être un véhicule de communication pour un message bien plus profond que la simple beauté. Nous avons demandé à quatre créatifs "Comment devient-on designer de produits ?", voici ce qu'ils nous ont répondu.

NM3

Photo Piercarlo Quecchia

L'histoire de NM3 commence dans les salles du Politecnico di Milano, avec la rencontre de Nicolò Ornaghi et de Francesco Zorzi. Après avoir fondé Raumplan, une revue dédiée à la curation et au design d'exposition, avec quelques collègues (qui plus tard ont fondé Giga Design Studio), le photographe Delfino Sisto Legnani a rejoint l'équipe. Le trio a uni ses forces chez NM3 avec « une exigence très pratique », nous racontent-ils. « C'était celle d'avoir un design d'exposition qui corresponde un peu à l'idée selon laquelle, quand on n'a pas d'argent, on fait tout avec des matériaux de récupération ». La principale caractéristique stylistique du collectif milanais est née dans leur première collaboration, lorsque, pour exposer des pièces d'archives de Kartell et d'Alessi, ils ont décidé de créer une série d'installations et de meubles en acier. « À l'époque, ils coûtaient vraiment peu », se souviennent-ils, « à partir de là, nous avons vu que ce système fonctionnait plus ou moins, donc trois ou quatre ans plus tard, nous avons repris l'idée de l'assemblage et nous l'avons évoluée en ce qui est actuellement l'esthétique de la marque ». Aujourd'hui, leur parcours professionnel comprend des collaborations avec des marques et des institutions telles que adidas, Sunnei, Aspesi, Ferrari, Axel Arigato, la Biennale de Venise et Alcova, mais ils sont toujours fiers de leurs origines « artisanales ». « Nous sommes nés sans investissements, sans trop de planification, nous avions tous d'autres emplois mais nous voulions raconter une histoire et être ensemble », expliquent-ils. Pour répondre à la question "comment devient-on designer de produits ?", le trio va droit au but. « Comme toutes choses : parce que vous y croyez et parce que vous vous investissez, c'est un pari que vous faites avec vous-même », affirment-ils. « Du jour au lendemain, vous inventez un produit qui n'existait pas auparavant, puis vous devez convaincre les gens de l'acheter ». Concernant les qualités qui les ont menés au succès, ils répondent avec assurance : « La détermination et l'entrepreneuriat », disent-ils. « Nous sommes de bons designers, nous savons ce que nous aimons et ce que nous voulons apporter. »

Parmi les conseils de NM3 pour les nouveaux arrivants, il y a celui de « interroger d'abord l'industrie et choisir avec qui vous voulez travailler ». Parce que le succès de NM3 repose sur l'unité et la détermination des fondateurs, mais aussi sur le soutien qu'ils ont reçu au fil des ans. « Plus que la ville, ce sont les personnes qui ont influencé », racontent-ils. « Des personnes qui ont pris le risque de nous publier quand nous n'avions encore aucun employé et que nous faisions des choses très petites, ou qui nous ont aidés en partageant leur portefeuille de clients. Ce sont les choses qui aident vraiment ». Cette Design Week, NM3 présentera une nouvelle installation dans les espaces du bar à cocktails Bene Bene, Via Morgagni, samedi 20 avril de 14h à 23h, en célébrant d'abord la communauté du studio au Club Night Opal, vendredi 19.

OLDER STUDIO

Photo Paola Ristoldo

Letizia Caramia et Morten Thuesen se sont rencontrés dans les ateliers d'Alexander McQueen avant de lancer OLDER en 2013. La marque produit des uniformes et des designs utilitaires durables pour l'hospitalité, tels que les restaurants étoilés et les bars à cocktails de luxe; mais aussi des projets artistiques comme le “Furniform”, un ensemble transformable qui explore la frontière entre vêtements et mobilier, ou “Buclicolo”, une armoire peinte à la main présentée ces jours-ci à la Design Week. Après avoir fondé la marque à Paris, le duo a déménagé à Milan pour se rapprocher de leurs racines et par amour pour l'histoire architecturale de la ville. Le nom d'OLDER encapsule la philosophie de la marque, dédiée au design qui prouve sa capacité à vieillir, et sa mission, axée sur la réduction du gaspillage. Les premiers pas d'OLDER en tant qu'entreprise qui tentait de résister au système consumériste de la mode n'ont pas été simples. Outre l'ambition, nous racontent les deux designers, ce qui les a aidés à réussir a été l'autodétermination. « Ce n'était pas du tout considéré comme cool au début, mais nous avions une idée assez claire de ce que nous voulions communiquer », révèlent-ils. « Même s'il s'agit d'un simple t-shirt, vous pouvez apporter beaucoup d'innovation en exploitant la narration ».

Caramia et Thuesen affirment que ce qui les a amenés à concevoir des collections d'uniformes sur mesure pour de grandes institutions comme le Noma de Copenhague, Matter and Shape, Jacquemus, Alcova et le Tate Modern (et bientôt aussi nss) a été le désir de se raconter. Plus spécifiquement, d'exprimer le sentiment de frustration envers l'industrie de la mode et son fonctionnement systématique contre toutes leurs valeurs. « Tout a toujours été organique pour nous, vous avez besoin de patience et aussi d'apprendre à apprécier le processus », racontent les fondateurs. « OLDER est autobiographique, c'est comme si les uniformes étaient nés d'une conversation entre nous deux ».

Duccio Maria Gambi

Photo Giovanni Savi

Photo Marina Desinova

Les designs de Duccio Maria Gambi ont également voyagé à travers l'Europe avant de revenir en Italie. Les professionnels du secteur appellent ses productions des collectibles, des pièces uniques de collection situées à l'intersection entre l'art et le design. Il s'agit principalement d'imposantes sculptures en pierre, réalisées à partir de combinaisons contrastées. Pour Gambi, le design est parfois une "forme de possession", d'autres fois un "travail de service"; son exploration de la pierre, nous explique-t-il, est le résultat de sa fascination pour le matériau, un débat animé entre l'immuabilité de la pierre et la variabilité de la créativité. Retraçant les étapes marquantes de sa carrière, le créatif florentin se souvient avoir été initialement attiré par l'avant-garde néerlandaise, mais avoir découvert ensuite le ciment à Paris. « J'ai toujours aimé le ciment pour la façon dont il s'impose dans l'environnement, pour sa géométrie », déclare Gambi, qui raconte avoir trouvé dans la capitale française non seulement un espace pour cultiver un nouvel intérêt artistique, mais aussi un lieu pour échanger avec d'autres artistes. De retour à Florence, nous dit-il, il a trouvé l'inspiration dans la symétrie de l'architecture et des paysages naturels de la ville. Ses œuvres ont fini par occuper les pièces de la Galleria Luisa Delle Piane, dialoguer avec le monde de la mode dans des collaborations avec des designers tels que Gherardo Felloni et Massimo Giorgetti. Parmi ses projets les plus récents, Gambi a transformé ses sculptures en imprimés pour une nouvelle collection avec MSGM, un projet qui lui a fait découvrir les similitudes entre les designers d'intérieur et de vêtements. Les deux designers sont unis, comme le remarque Gambi, par la « sensibilité à la recherche sur les matériaux, sur la relation entre fonction et esthétique ». Bien qu'il reconnaisse que souvent, les marques de mode peuvent privilégier la commercialité à l'innovation, il reconnaît dans la croisée des deux mondes encore d'infinies possibilités. Après le récent lancement de la collaboration avec MSGM, cette Design Week, le designer présente avec Studio Leggero le paravent conceptuel Separér, une collection en verre de Murano et bois nommée CLAUDE, avec Secondome et Studio Effe chez Rossana Orlandi, ainsi qu'une lampe de la collection INCAL dans Don't get too comfortable, chez Circolo via della Spiga.

Aujourd'hui, Gambi dirige Spazio Territorio, un atelier d'exposition basé à Florence où il présente ses propres travaux avec ceux d'autres artistes. Il nous dit que le nom exprime « l'idée d'une frontière labile, d'un espace qui se modifie comme un conteneur qui varie en fonction de ce qu'il contient ». Bien qu'il le décrive encore comme expérimental, Spazio Territorio a déjà accueilli plusieurs expositions dédiées à de jeunes designers, une occasion pour le designer de mettre à disposition ses connexions et ses connaissances pour promouvoir et soutenir certains nouveaux visages du secteur. Pour faire ce travail, Gambi recommande de trouver l'inspiration au-delà du design, de s'ouvrir complètement aux influences que le reste du monde offre et de ne pas suivre les règles de l'algorithme, qui « aplatisse ». « Ensuite, il y a l'ouverture à la perception, il est important de croire vraiment en ce que vous ressentez et ensuite d'essayer de le montrer de la meilleure façon possible », ajoute-t-il - « Maintenant, il est très facile de montrer votre travail, tout est dans la présentation d'une histoire cohérente ».

SITUÉR MILANO

Photo Linda Provini

Les boutiques et espaces d'exposition où se trouvent les étagères de Situér Milano sont caractérisés par une aura dynamique et colorée. L'histoire de la marque puise ses racines dans les années 60, avec un départ de la société de mobilier Castellani. L'identité de Situér est ancrée dans le passé, mais c'est une révolution artistique qui l'a propulsée vers le succès. D'abord l'ajout de la couleur, puis le “pli Situér”, une technique de soudure particulière qui confère un mouvement caractéristique aux meubles de la marque, ont façonné l'identité du studio. L'objectif fondamental de l'entreprise est « la recherche d'un équilibre parfait entre esthétique et fonction », nous disent les cofondateurs Biagio Castellani et Federica Paoli. Ils se souviennent qu'une des principales difficultés rencontrées avec Situér a été paradoxalement de lancer un nouveau projet au sein d'une entreprise déjà établie. « Il a été certainement fondamental d'être nés au sein d'une entreprise plus grande comme Castellani, nous avons tiré profit de leur savoir-faire artisanal et de leur tradition dans le travail du métal, mais nous avons également dû affronter un processus de transition et de changement ».

« Pour nous, la mission du designer est une mission », expliquent Castellani et Paoli, convaincus que le succès de leur idée a été le choix de se consacrer entièrement au métal. « Être spécialisé dans un matériau ou dans un processus de fabrication est probablement ce que nous pourrions conseiller à ceux qui souhaitent entreprendre un parcours de designer », conseillent-ils. Pour cette Design Week, la marque a choisi d'utiliser le showroom pour explorer la relation entre la nature et le design à travers les couleurs de la terre. Pour célébrer le retour du "pli Situér" au Salone del Mobile, le studio a aménagé les espaces de l'historique fleuriste de Brera, Fioraio Bianchi Caffè.

En 2024, le métier de designer de produits ne peut plus se limiter à la définition qui lui a été donnée. On crée un produit, oui, mais autour de lui gravitent une myriade de facteurs qui influencent son histoire et sa fonction. Dans notre recherche sur comment devenir designer de produits, nous avons tenté de trouver des réponses claires à une question qui, au fond, n'existe pas. Dans ce sens, l'ampleur de la Design Week confirme comment le design imprègne tous les domaines culturels, et comment, à la base de chaque produit réussi, il y a la nécessité de remettre en question les idées reçues de l'industrie, afin de la perfectionner. Parce qu'en plus de célébrer l'esthétique et la créativité (qui suffisent parfois), le design sert à poser les bonnes questions.