Le paradoxe des cinémas français

Malgré les défis posés par la pandémie du Covid-19 au cours des années précédentes, 2023 a été une très belle année pour le cinéma français. Les salles de cinéma ont enregistré une fréquentation remarquable avec 181 millions d'entrées, témoignant ainsi d'une vigueur retrouvée, avec une augmentation significative de 18,9 % par rapport à l'année précédente. Une progression qui a marqué un rebond après trois années plutôt tumultueuses. Cependant, derrière ce tableau globalement positif se cache un paradoxe frappant. En parallèle de cette revitalisation générale de l'industrie, plusieurs institutions cinématographiques emblématiques ont été contraintes de mettre définitivement la clé sous la porte. Ces fermetures, loin d'être anodines, soulèvent des questions sur les tendances et les défis auxquels est confrontée l'industrie cinématographique française, ainsi que sur les implications de ces fermetures pour le paysage culturel du pays.

La levée des restrictions sanitaires dans les cinémas, survenue le 14 mars 2022, a marqué un tournant capital pour l'industrie cinématographique française. Après une période prolongée de fermeture et de contraintes, cette levée a représenté un retour tant attendu à la normalité pour les salles obscures, insufflant ainsi aux spectateurs la confiance nécessaire pour retrouver le plaisir du grand écran. Cependant, malgré ce regain, il est important de souligner que la fréquentation des salles obscures demeure en deçà des niveaux enregistrés avant la crise sanitaire. En moyenne, entre 2017 et 2019, le nombre d'entrées se situait à 207,9 millions, mettant en évidence un écart substantiel malgré le rebond observé. La diversité des films proposés dans les salles de cinéma françaises a également contribué à attirer le public. En plus des blockbusters américains traditionnellement populaires, l'année 2023 a vu le succès de plusieurs productions françaises, dont certaines ont dépassé les 4 millions d'entrées. Parmi ces films à succès figurent "Astérix et Obélix : L'empire du milieu",, "Alibi.com 2", "Les Trois Mousquetaires “, “Tirailleurs" mais aussi "Anatomie d’une chute". Cette variété d'œuvres, allant des comédies aux films d'action en passant par les drames et les films d'auteur, a permis de répondre aux différents goûts et préférences du public français. De même, face à la concurrence croissante des plateformes de streaming, les exploitants de salles de cinéma ont redoublé d'efforts pour attirer le public. Des initiatives telles que des programmes de fidélité, des projections spéciales, des événements thématiques et des avant-premières ont été organisées pour offrir aux spectateurs une expérience cinématographique unique et attractive. Cette stratégie proactive a contribué à renforcer l'attrait des salles de cinéma et à encourager le public à revenir en nombre, malgré les alternatives disponibles en ligne.

Si l'engouement retrouvé du public pour le grand écran a été un vent favorable pour de nombreuses salles, d’autres obstacles n'ont pas manqué de faire vaciller certains établissements, incapables de suivre le rythme effréné de l’évolution des habitudes de consommation des spectateurs. La fermeture récente de cinémas emblématiques tels que le Gaumont Champs-Élysées Marignan et Le Bretagne à Montparnasse en est la preuve. Malgré le regain de fréquentation des salles, ils ont toutefois dû mettre la clé sous la porte dû à des facteurs multiples. Prenons le cas du Gaumont Champs-Élysées Marignan, inauguré en 1933, dont la longue histoire et la renommée incontestée n’ont pas suffit. Comme plus d’un, la pression immobilière et les contraintes architecturales ont exercé un poids considérable sur sa survie. Situé sur l'une des avenues les plus célèbres du monde, la transformation de cet édifice en un complexe cinématographique moderne aurait nécessité d'importants investissements, à la fois pour rénover les infrastructures existantes et pour répondre aux normes technologiques contemporaines. Cependant, ces coûts élevés auraient été difficilement compensés par les revenus générés par les entrées de cinéma, surtout dans un contexte où la fréquentation des salles est confrontée à une concurrence croissante des plateformes de streaming. Face à ce genre de défis, les exploitants de ces cinémas ont été confrontés à un dilemme complexe : investir massivement dans la modernisation des installations pour rester compétitifs ou céder aux pressions immobilières et fermer définitivement. De plus, au fil des années, les cinéphiles ont changé leurs habitudes, préférant fréquenter des cinémas mieux équipés et situés dans des quartiers plus dynamiques. En opposition à ces établissements traditionnels on a pu remarquer l’émergence de nouveaux cinémas, plus modernes et mieux adaptés aux attentes du public. Ils ont su tirer parti des nouvelles technologies pour offrir des expériences cinématographiques uniques, avec des écrans IMAX, des systèmes audio Dolby Atmos, et des projections en 3D. Additionnellement, leur localisation stratégique dans des zones dynamiques et fréquentées a renforcé leur attractivité, en permettant aux spectateurs de combiner leur sortie cinéma avec d'autres activités de loisirs ou de shopping.

Ce paradoxe souligne l'importance cruciale de trouver des solutions innovantes pour préserver la richesse et la diversité du paysage cinématographique français tout en faisant face aux défis d'un marché en constante évolution. Pour assurer sa pérennité, c’est toute l'industrie cinématographique qui doit envisager des stratégies de collaboration, d'adaptation et d'innovation. Certains cinémas ont déjà adopté de nouvelles approches, telles que la diversification de leur programmation avec des événements spéciaux, des projections de films classiques et des festivals. Tandis que d’autres, s’associent avec des institutions culturelles locales, des écoles et des entreprises pour organiser des événements spéciaux, renforçant ainsi leurs liens avec la communauté et augmentant leur base de clients fidèles.