Le retour silencieux de la mode digitale

Alors que la pandémie était à son apogée, les marques de mode et de luxe se précipitaient pour revendiquer leur place sur le nouveau territoire de la mode web3. En 2021, Dolce & Gabbana établissait un record en vendant sa collection NFT Collezione Genesi - contenant une série d’articles physiques et numériques - pour 6 millions de dollars américains. Balenciaga s’associait à Epic Games, intégrant la haute couture dans Fortnite tandis que 777 NFT de Karl Lagerfeld se vendait en 33,7 secondes. La technologie blockchain était en vogue, et des marques pionnières comme Nike exploraient ce nouveau domaine. Cependant, après la pandémie, l’intérêt pour les expériences numériques et les objets de collection s’est estompé. La bulle crypto s’est effondrée, et le monde de la mode a déclaré la mode web3 morte. Et pourtant, des marques performantes comme Louis Vuitton, Prada et MiuMiu continuent d’investir et de développer leurs offres numériques. L’état de la mode web3 reste incertain. L'année 2025 pourrait-elle marquer son grand retour ? 

La semaine dernière, Nike a annoncé la fermeture de RTFKT, sa marque de sneakers virtuelles acquise en 2021. À l’époque, RTFKT connaissait un énorme succès en vendant des NFT sous forme de sneakers virtuelles, de vêtements et même d’avatars 3D, prêts à explorer le métavers. Pourtant ce qui était alors considéré comme un grand pas en avant fut en fait une autre tentative de mode web3 datant de l’époque covid qui n’a pas fonctionné. Bien que le montant officiel n’ait jamais été divulgué, on estime que RTFKT a été achetée pour 1 milliard de dollars, marquant un jalon important pour la mode web3. Peu après cette acquisition en 2021, Nike lançait sa propre plateforme Swoosh, dans le but d'éduquer les utilisateurs sur le web3 et de construire une communauté de passionnés de culture urbaine et de mode numérique. La fusion de la culture des sneakers, du jeu vidéo et de la technologie web3 n’avait jamais semblé aussi réelle. La frontière entre créativité physique et numérique, entre artiste et collectionneur, était mince. Mais depuis la fin de la pandémie, la valeur marchande des NFT a chuté et l’engouement pour la mode virtuelle s’est dissipé. Opensea - l’une des plus grandes places de marché NFT - est passée d’une valorisation de 13,3 milliards à 1,4 milliard de dollars entre 2021 et 2024. Les très populaires NFT de Bored Ape Yacht Club - aujourd’hui Yuga Labs - ont également chuté de 90 %. Que de coups durs pour la mode web3, pourtant pleine d'espoir en 2021. Mais sous l'apparence d'un déclin rapide, la mode du web 3 montre encore des signes de vie. Des marques de luxe et de mode performantes comme Prada, MiuMiu et Louis Vuitton continuent de développer leurs offres de vêtements et d’expériences virtuelles. 

En juin 2023, Louis Vuitton a lancé Via Treasure : un coffre au trésor phygital et un NFT non transférable - ce qui signifie qu’il ne peut pas être revendu - pour 39 000 $. Depuis, la marque continue de proposer régulièrement des produits phygitaux uniquement accessibles à la communauté d’initiés - environ 200 clients possédant un coffre Via Treasure. Ce faisant, la marque a réussi à créer un segment de clientèle restreint mais très lucratif qui continue d'acheter ses NFT. Sentant l’excitation autour du crypto et du web3 s’atténuer, Louis Vuitton a révisé ses ambitions et a poursuivi son projet web3 lentement et discrètement. La quatrième et dernière sortie, en avril 2024, était une veste universitaire phygitale de la collection FW24, au prix de 7 900 $. Continuer à vendre des NFT bien après la disparition de l’engouement pour la mode web3 témoigne de la confiance de la Maison envers l’avenir de la mode web3 et de sa compréhension de la valeur croissante de posséder un équivalent numérique à un objet physique. L’importance du double numérique en mode est devenue de plus en plus évidente en septembre 2024, lorsque l’Union Européenne a commencé à mettre en œuvre une nouvelle législation exigeant que presque tous les produits vendus dans l’Union aient un passeport numérique de produit (DPP). Cela indique le besoin futur d’équivalents numériques aux objets physiques, une évolution en marche que Louis Vuitton a très bien compris. 

Mais l’avenir de la mode web3 ne se limite pas aux équivalents numériques des objets physiques. Alors que la relation entre le monde physique et numérique devient de plus en plus imbriquée, les opportunités de mode web3 émergent sous de nombreuses formes, de la production de vêtements pour avatars au lancement d’expériences immersives sur des plateformes de jeu. Le groupe Prada, partenaire de longue date de l’application de réseaux sociaux gen-Z Snapchat, a récemment lancé une collection virtuelle que les utilisateurs peuvent acheter pour habiller leur bitmoji (avatar). En avril 2024, Gucci a dévoilé une expérience de réalité mixte via le Vision Pro d’Apple, avec son court-métrage Who is Sabato de Sarno? A Gucci Story, où les utilisateurs peuvent organiser leurs propres espaces virtuels et interagir avec des produits 3D inspirés de Gucci Ancora. Pour faire croître leur communauté NFT et célébrer leur première année sur la plateforme, Louis Vuitton a lancé un mini-jeu d’une semaine sur Discord - la plateforme de messagerie instantanée pour les gamers - en novembre. Ces bribes de nouvelles sur le web3, lorsqu’elles sont rassemblées, indiquent un schéma plus large. Bien que son rythme soit bien moins frénétique qu’en 2021, le pouls de la mode web3 bat encore. Dans sa déclaration finale, Nike écrit : « Ce n'est pas la fin de RTFKT, elle devient ce qu’elle a toujours été destinée à être - un artefact de révolution culturelle. » Après tout, il y a toujours des victimes dans une révolution. La nature des cycles d’innovation est inflammatoire, et la ruée frénétique de l’ère crypto-pandémie n’a jamais été un environnement propice le développement d'offres web3 durables. Après la réélection de Trump et sa promesse de faire de l’Amérique « la capitale mondiale de la crypto », qui sait ce que les projets de mode web3 de 2025 nous réservent.