«J'ai toujours fait attention au produit et à rien d'autre » : interview avec Charlotte Chesnais
La designer parle d'architecture, de Paris et de la difficulté de créer une marque
25 Juin 2024
Elsa David
Avec des lignes minimalistes mais organiques et irrégulières, les bijoux classiques comme les boucles d'oreilles créoles et les bagues sont réimaginés en tant qu'objets décoratifs. La marque de Charlotte Chesnais incarne toutes les influences qui ont façonné la designer tout au long de sa vie : son héritage français, sa passion pour l'architecture et ses neuf années chez Balenciaga, où elle a d'abord travaillé comme créatrice de prêt-à-porter avant de contribuer au lancement de la première ligne de bijoux de la maison. Avec des boutiques sur la Rive Gauche et la Rive Droite à Paris, Charlotte Chesnais a établi sa marque dans la capitale française en 2015 pour explorer les frontières entre la bijouterie et la sculpture, et seulement six mois plus tard, elle a reçu le prestigieux prix ANDAM. La décision de lancer sa propre marque, explique Chesnais, est venue naturellement. « Je sentais que j’avais des choses à dire, une envie de m’exprimer de manière personnelle dans l’industrie. » Le 8 juin, une nouvelle version de la toute première collection de la marque, Spinal, sera présentée lors de l'exposition Genius Loci Maison Bernard, à Théoule-sur-Mer.
Quelles ont été les plus grandes leçons tirées de ce travail avec Ghesquière chez Balenciaga ?
Chaque saison était une page blanche. C’était difficile parce qu’on ne pouvait pas capitaliser sur les recherches du passé, mais c’était très enrichissant. Et puis, la vision globale qu’avait Nicolas chez Balenciaga. Rien n’était laissé au hasard, je n’ai jamais connu d’autres modèles et c’est pour ça que je suis aussi rigoureuse dans ma propre maison.
Qu'est-ce qui vous a aidé à construire votre marque à partir de zéro et quels ont été les plus grands obstacles ?
Ce qui m’a aidé, c’est l’expérience et le réseau que j’ai acquis pendant toutes ces années. J’avais confiance en moi, j’étais armée parce que j’étais bien entourée. Le plus difficile, c’est que je suis tombée enceinte le mois du lancement de la marque.
Votre travail s'inspire du monde de l'architecture plutôt que de celui des bijoux. Comment trouvez-vous que les deux mondes communiquent entre eux ?
J’ai une plus grande sensibilité à l’art, au design et à l’architecture qu’au monde de la joaillerie depuis toujours. Je suis beaucoup plus alimentée par ces références-là. J’ai un esprit très mathématique et je me projette assez bien dans l’espace. Je n’ai jamais voulu être architecte, mais j’ai une prédisposition pour bien comprendre la 3D de manière générale. J’ai une approche spatiale au bijou.
Y a-t-il des bâtiments spécifiques à Paris que vous aimez référencer ?
Pas de bâtiments spécifiques parce que je n’ai pas d’inspirations directes, mais il y évidemment Mallet-Stevens que j’adore dans le 16ème arrondissement - Auguste Perret, Le Corbusier, cela me touche plus que l’haussmannien.
Selon vous, quelles étaient les principales qualités qui ont aidé votre marque à obtenir du succès ?
J’espère que c’est le produit, je ne faisais attention à rien d’autre. Faire un produit avec des lignes épurées, avec une dimension intemporelle la plus forte possible, une fabrication impeccable - c’est tout cela qui a fait ma marque. Ce qui a aussi aidé, c’est que je me suis affirmée dans un certain style et que je m’y suis tenue.
Vous êtes entrée dans le monde du design d'intérieur avec la même approche que pour la bijouterie. Voyez-vous vos designs comme des œuvres d'art plutôt que des produits ?
C’est un domaine assez exploratoire et expérimental. J’ai un petit syndrome de l’imposteur en appelant ça des œuvres d’art, c’est un peu pompeux et prétentieux, en même temps je comprends qu'on puisse en voir certaines comme des sculptures. Je suis honorée que Genius Loci m’ait proposé l’expérience de cette première exposition d’art contemporain aux côtés d'une œuvre de Pol Bury, que j'admire depuis toujours ! Au final, je ne suis pas intéressée par la catégorie dans laquelle on les met, ce qui m’intéresse, c’est de les faire. Fabrication, recherche de matières, changement d’échelle... C’est ça qui compte pour moi.