Tout d'un coup, les it-bags donnent faim

Quand le mème devient réalité, une tomate se transforme en it-bag signé Loewe. Ce n’est pas une blague, mais ce qui s’est passé il y a quelques semaines, lorsqu'un internaute a publié sur X une photo d’une tomate qui « fait trop Loewe ». Le directeur créatif de la maison espagnole, Jonathan Anderson, n’a pas hésité à jouer le jeu, et quelques jours plus tard seulement, une vidéo montrant un sac ressemblant à une tomate est apparue sur son profil. Le grand n’importe quoi des réseaux, dites-vous ? Pas forcément, puisqu'une blague a toujours un fond de vérité.

Il n’y a jamais eu autant de sacs inspirés par la nourriture

Ce fut Fendi, en 1997, qui lança le premier sac inspiré par la nourriture, avec son it-bag baptisé Baguette non pour sa forme, mais parce que ce sac sans bandoulière était fait pour être glissé sous le bras, à l’instar des Français avec leur précieuse baguette. Presque trente ans plus tard, cette idée de s'inspirer de la nourriture pour créer un sac culte semble devenir une tendance parmi les marques. Parmi les pionnières, il y a certainement Judith Leiber et sa food couture : cornets de frites, pancakes, milkshakes, glaces, donuts, tranches d'orange - et bien plus encore - non pas à manger mais à tenir en main, dont la renommée est également due à Sex and the City. Plus récemment, à l’occasion de la présentation de sa collection Salon 02 en 2021, Bottega Veneta a dévoilé une version du cabas Double Knot avec une finition en 3D, surnommée Spaghetti Bag par les passionnés de mode. Les pâtes, notamment, avec leurs formes et leurs textures variées et fantaisistes, semblent être une source d’inspiration pour les designers. C’est le cas de l’émergent Federico Cina, qui au début de 2024 a sorti sa Tortellino Bag, aujourd’hui sold out, inspirée par l’un des patrimoines culinaires et culturels de l'Émilie-Romagne. Un hommage à sa grand-mère qui lui a appris à les faire à la main.

Mais comme l’Italie n’est pas connue que pour les pates et la pizza, la marque française Vautrait a créé la Burrata Bag, un sac à main en trompe-l'œil qui voit le cuir blanc se resserrer en un nœud au sommet, rappelant ce fromage qu’on dirait plus consommé à Paris que dans les Pouilles. La zip au milieu, cependant, n'est pas le portail d’accès à un cœur de lait à dévorer, mais l’outil pour sécuriser ses essentiels. Une autre maison française, Lemaire, a choisi à son tour de rendre hommage au produit le plus iconique de la tradition culinaire de l’Hexagone, imaginant un Sac Croissant. Louis Vuitton, avant l’arrivée de Pharrell, a trouvé son inspiration en Asie, donnant vie à sa pochette monogram Fortune Cookie. Lors de son dernier défilé, Olivier Rousteing chez Balmain a joué avec les détails, ajoutant à ses sacs des grappes de raisin à la manière d’un bijou précieux. Un clin d'œil à Bordeaux, ville natale du directeur créatif, célèbre dans le monde entier pour ses vignobles. Et toujours dans le thème des fruits et légumes, en mars dernier Loewe a présenté son sac botte d’asperges perlé à la main.

La liste ne s'arrête pas là, comme le montrent le Fish Bag signé Bottega Veneta, le sac en forme de pain de Moschino ou encore celui rappelant une part de gâteau à la vanille déjà entamée, conçu par Tal Maslavi. Sans oublier les créations inspirées par l'emballage des produits, comme le sac Chips de Balenciaga au ton ironique et cynique, ou encore le sac anti-pluie pour protéger sa baguette créé par Undercover. Derrière ce fil rouge créatif, « il y a une opération de nature commerciale imprégnée de divertissement », selon Vincent Grégoire, Directeur Consumer Trends & Insights chez Nelly Rodi. «Dans cette époque où la société est très fracturée, les consommateurs ont envie de réconfort et, en même temps, reviennent à des préoccupations essentielles. Dans ce contexte, la nourriture est certainement l'une des choses qui nous tiennent à cœur et qui peuvent toujours nous représenter. Ainsi, les marques ont décidé de capitaliser sur cette tendance », soutient-il.

La gastronomie, nouveau fétiche de la mode

Face aux relations toujours plus étroites des maisons de luxe avec le monde de la gastronomie, parler de it bag semble réducteur. «Food et mode, c’est parti ! », confiait à nss il y a quelques semaines Guillaume Salmon, RP lifestyle emblématique de Paris, à la tête de la communication de colette pour 17 ans et numéro un aujourd’hui de son agence Tact. Ce n'est pas seulement une tendance de sacs qui se profile donc, mais une alliance globale et multifacette rappelant de près celle qui s’est développée ces dernières années entre le sport et la mode. De plus en plus, les marques proposent des expériences culinaires en leur nom propre. Cela est illustré par le succès du café Kitsuné, devenu tendance parmi les jeunes branchés de Paris. De plus, les collaborations avec des chefs et des pâtissiers, eux aussi devenus des stars des réseaux sociaux, se multiplient pour ravir les papilles de la clientèle aspirationnelle des maisons de luxe. À cet égard, LV Dream, l'espace culturel de Louis Vuitton en plein cœur de Paris, accueille au premier étage les délices les plus élaborés et exquis du chef pâtissier de l'Hôtel Cheval Blanc, Maxime Frédéric.

« L'hospitalité est le nouveau domaine de prédilection de la mode, mais avec une approche culture pop ! Les pizzas, les croissants, les raviolis et ainsi de suite sont des références transgénérationnelles et transculturelles voire compréhensibles pour tous », affirme encore Vincent Grégoire de Nelly Rodi. Ainsi s'explique aussi la décision de nombreuses marques d'associer leur nom à celui de restaurants situés dans les destinations touristiques les plus prisées du monde. Il y a seulement un mois, Jacquemus a inauguré le restaurant La Renaissance à Saint-Tropez, dont il a repensé à la fois le décor et le menu pour la saison estivale. Un autre restaurant tropézien, niché dans les murs de l'hôtel White 1921, est signé depuis des années par Louis Vuitton.

Certains acteurs du domaine gatronomique mettent leur expertise à disposition des marques de luxe pour illustrer leurs univers de manière poétique. C’est le cas de We Are Ona, le studio culinaire qui, depuis 2019, donne vie à des restaurants éphémères dans les lieux les plus insolites du monde. Parmi ses clients, il y a eu Saint Laurent, qui en 2022 a accueilli un dîner à thème sushi dans son concept store lifestyle parisien Rive Droite, ainsi que Jacquemus, protagoniste d’un dîner royal et vegan au Château de Versailles. Selon le fondateur Luca Pronzato, « la gastronomie peut être un outil précieux pour créer et fidéliser une communauté, ainsi que pour représenter l’essence d’une marque ». Jamais aussi proches, la mode et la gastronomie se sont donc maintenant donné la main pour entreprendre un chemin qui promet d'être long et plein de développements.