Le mystère reste entier avec Acne Studios

En regardant le flacon contenant le nouveau parfum fruit de la collaboration entre Acne Studios pour Frédéric Malle, personne ne s'attendrait à ce que cet emballage aux teintes pastel soit en réalité né par hasard, d'une lettre écrite à la main et avec une belle calligraphie. C'était une invitation offerte par Malle en personne à Jonny Johansson pour une rencontre au Café De Flore à Paris. «Non una cosa programmata», raconte le directeur créatif d'Acne, abandonné sur un fauteuil dans un hôtel milanais après un vol pris «trop tôt», juste pour le lancement du nouveau parfum - «je n'aime pas voler et c'est un peu un grand événement quand je le fais» - il avouera peu après en se serrant les épaules. Le hasard, en effet, est un thème récurrent dans les interviews de Jonny, qui a construit un passé de collaborations réussies, de l'édition au design produit, pour finalement arriver aussi aux parfums, sur des rencontres fortuites et inattendues. «J'ai toujours admiré le travail de Malle et j'ai toujours respecté son nez, je suis client de la marque depuis des années. J'apprécie son approche conceptuelle, car dans tout ce que je fais moi-même, il y a toujours une idée, un dessin ou, si l'on veut, une méthode, indépendamment du type de résultat qui en découle», révèle Johansson.

Editions de Parfums de Frédéric Malle naît d'un idéal bien spécifique : ramener la parfumerie à l'éclat d'autrefois, en menant les plus grands nez du monde à l'apogée de leur art et en leur accordant des matières premières exceptionnelles. Aucune limite de temps, aucune contrainte marketing : de même, depuis sa fondation en 1996, Acne Studios incarne le souci du design sans compromis, laissant les inspirations personnelles et l'intérêt de Johansson pour les arts se mêler à une attention toute suédoise à la fonctionnalité. «Un’idea, un disegno o se vogliamo un metodo» rend l'œuvre du directeur créatif expérimentale et changeante mais toujours distinctement reconnaissable. Lorsque je lui demande comment il est possible que dans l'imaginaire collectif les images glitchées de la campagne de Yves Tumor et les sweatshirts avec le logo logom - l'emoji à l'expression apathique symbolisant avec ironie l'humeur suédoise - proviennent d'une seule matrice créative, le ton devient plus sérieux, se transforme en leçon, ou peut-être en révélation, non seulement sur le concept de créativité, mais sur la nécessité de la préserver : «Il n'est pastoujours nécessaire de tout expliquer. Si vous mettez trop de pièces de Lego ou de puzzle, vous voyez toute l'image et cela devient ennuyeux au bout d'un moment. Je n'aime pas trop réfléchir, car il vaut mieux ne pas savoir. C'est comme avec toute la mode qui existe : il y a vraiment de très, très belles choses, mais si on commençait à tout regarder attentivement, si on allait dîner tous les soirs avec les gens du métier, on serait complètement perdu, on douterait de soi. Chacun doit créer sa propre bulle, garder le mystère». 

Frédéric Malle et l'odorat de Suzy Le Helley ont voulu capturer l'esprit d'Acne Studios et en révéler, pour la première fois, le miroir olfactif, un parfum magnétique mais réconfortant. Rien de trop conceptuel, juste comme Jonny qui n'aime jamais se prendre trop au sérieux. Il y a un certain classicisme, mais avec un arrière-goût kitsch qui lui renvoie comme un boomerang, comme l'adoucissant de maman et toute la nostalgie instinctive qu'il évoque, un ensemble enveloppant d'aldéhydes frais, de fleurs, de pêche et de vanille : «C'est très direct. Tu sens la douceur, mais il y a une touche de nouveauté, une sorte de vibration. Un effet que Frédéric reproduit souvent : il aime les choses nouvelles et avant-gardistes, mais en même temps, il a toujours un pied dans le classique.»

Avec un passé de musicien et une enfance entre une mère artiste et un père militaire, Jonny a grandi en rêvant de succès avec son groupe. Il a fini par entrer dans le monde de la mode, tout comme il est arrivé aux parfums, sans se poser trop de questions, en se concentrant sur le moment présent et en se laissant emporter par ce “désir d'exploration” qui caractérise encore aujourd'hui chacune de ses créations. Il a découvert aimer la mode seulement après plusieurs années, parce que, tout comme pour ses vêtements, il a «besoin de quelques années pour regarder les choses avec du recul, pour comprendre si elles me plaisent vraiment. Certaines de nos créations sont belles, d'autres non, mais même celles qui échouent nous aident à franchir l'étape suivante vers quelque chose d'intéressant. Rien n'est définitif, donc j'essaie de ne pas juger. Puis parfois, après le temps, je regarde en arrière et je me dis : nous avons bien fait.» Le nouveau parfum d'Acne Studios x Frédéric Malle est un nouveau chapitre du voyage, un outil précieux pour pénétrer, au moins olfactivement, cette couche de mystère que Jonny tient serrée comme un précieux manteau. Mais une sensation ressort clairement une fois l'interview terminée : même si nous réussissions à lever le voile sur le mystère, un autre serait déjà en réserve.