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« No Pasaran », le rap face à la politique

Conscients de leur popularité et de leur capacité à constituer une réelle opposition, les rappeurs prennent la parole

« No Pasaran », le rap face à la politique Conscients de leur popularité et de leur capacité à constituer une réelle opposition, les rappeurs prennent la parole

Depuis toujours, le rap est bien plus qu’un simple genre musical. Il constitue un puissant moyen d'expression, une plateforme pour dénoncer les injustices et partager des réalités souvent ignorées. Traditionnellement, les rappeurs français ont joué le rôle de porte-voix des sans-voix, surtout en période de crise politique et sociale. Cependant, après la dissolution de l’Assemblée nationale et le premier tour des élections législatives dominées par le Rassemblement National (RN), le silence des grandes figures de l’industrie musicale était assourdissant. Seules quelques voix, comme celle du jeune rappeur Danyl sur Instagram appelant les jeunes à voter, se faisaient entendre. Le 1er juillet à 23h45, ce silence a été brisé. Alors que les répercussions des élections se faisaient encore sentir, une vingtaine de rappeurs ont décidé de réagir en publiant leur titre collectif, « No Pasaran ». Ce morceau fleuve de neuf minutes et quarante-trois secondes rassemble des artistes de différentes générations, tels qu’Akhenaton, Pit Baccardi, Fianso, Soso Maness, Demi Portion, Zola et Kerchak. Inspiré du célèbre slogan des républicains espagnols de la Guerre civile contre le fascisme de Franco, « No Pasaran » rend hommage à une autre œuvre notable du rap français : « 11 mn 30 contre les lois racistes », sortie en 1997 pour critiquer les lois Debré jugées racistes. Entre polémiques, remous politiques et devoir de mémoire, faisons le point.

 

Le rap, une tradition d'engagement politique

Depuis ses débuts, le rap français s’est distingué par son engagement politique, notamment en tant que forme de résistance culturelle. Aujourd'hui, bien qu'il soit devenu mainstream, avec 73 % des jeunes Français l’écoutant, il continue d’aborder des thématiques variées. En quarante ans d’existence, ce genre a traité une multitude de sujets de société, se transformant en un véritable outil politique. Pauvreté, racisme, violences policières et inégalités de richesse sont des thèmes récurrents. Les artistes y relatent souvent leurs expériences de discrimination et de brutalité policière, appelant à la justice et à la réforme. Le racisme, en particulier, est un sujet central, avec de nombreux morceaux dénonçant les discriminations raciales et plaidant pour l'égalité. L'histoire du rap français est riche en morceaux engagés qui ont marqué les esprits et mobilisé les foules. En 1997, le titre « 11 minutes 30 contre les lois racistes » a rassemblé de nombreux rappeurs pour protester contre les lois Debré, jugées discriminatoires. Ce morceau est devenu un hymne pour une génération de jeunes qui se sentaient marginalisés et opprimés. Plus tard, Diam’s sortait « Marine » (2004) et « Ma France à moi » (2006), deux titres emblématiques dénonçant la montée de l'extrême droite en France qui ont depuis trouvé leur place dans les manifestations. Le morceau « No Pasaran » s'inscrit dans cette tradition, rappelant que le rap est avant tout une musique de contestation et de résistance.

 

« No Pasaran » : Une réponse directe à la montée de l'extrême droite

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Le morceau « No Pasaran » est une réponse directe à la montée du Rassemblement National (RN) en France. Le RN, dirigé par Jordan Bardella, a réalisé une percée significative au premier tour des élections législatives anticipées, suscitant une inquiétude généralisée parmi ceux qui s'opposent à ses idées. C'est dans ce contexte que DJ Kore et Ramdane Touhami ont décidé de réagir. Leur objectif était clair : utiliser la musique pour mobiliser les jeunes et les inciter à voter contre le RN. Le collectif réuni pour l’occasion comprend des artistes de toutes les générations et de tous les horizons du rap français. Parmi eux, on retrouve des noms bien connus comme Akhenaton, Fianso, Zola, Soso Maness, et Seth Gueko, ainsi que des figures montantes comme Kerchak, ISK, et Uzi. Chacun apporte sa propre perspective et son propre style, mais tous partagent un même engagement contre l'extrême droite. Les paroles du morceau sont sans détour, parfois brutales et choquantes. Dès les premières notes, Fianso lance : « Le doigt en l’air pour les ciste-ra / CNews dans l’angle mort / Secousses et tremblements / Fuck le rassemblement. » Cette ligne résume bien l'esprit du morceau : une dénonciation sans compromis du RN et de ses idées. D'autres artistes, comme Zola, n'hésitent pas à défier directement Jordan Bardella, le président du RN, dans des termes provocateurs. Les thématiques abordées reflètent les préoccupations des rappeurs : l'immigration, les violences policières, le conflit israélo-palestinien, et l'impact des médias de droite comme CNews sur la désinformation des jeunes générations. Le message est clair : il est temps de se réveiller, de voter, et de faire barrage à l'extrême droite : « Ils ne passeront pas ».

 

Réception et impact du morceau

Sur les réseaux sociaux, les opinions sont divisées. Certains saluent le courage des artistes et la force de leur engagement, tandis que d'autres critiquent la violence et le caractère choquant de certaines paroles. Les paroles misogynes et complotistes ont particulièrement suscité la controverse. Des lignes comme « Marion et Marine les putes / Un coup de bâton sur ces chiennes en rut » ont été vivement critiquées pour leur langage offensant et sexiste. De plus, des références à des théories du complot, comme celle des Illuminati ou des puces injectées dans le sang, ont été jugées problématiques et potentiellement contre-productives. Ramdane Touhami, à la production du titre, a défendu ces choix en expliquant que certaines phrases étaient des références culturelles, comme le chant de « Jordan, tu es mort » qui fait écho à une victoire du champion de MMA Cédric Doumbé. Cependant, la justification de ces références n'a pas suffi à apaiser toutes les critiques. Malgré les controverses, « No Pasaran » a le potentiel de mobiliser les jeunes et de les inciter à s'engager politiquement. Avec un peu de chance, ce morceau aura le même effet que celui de ses prédécesseurs. Ces chansons ont marqué leur époque et ont contribué à une prise de conscience collective. En utilisant leur art pour exprimer leur opposition à l'extrême droite, les rappeurs rappellent que la musique peut être un vecteur de changement social.

 

« Lève-toi, va voter, faut pas rester assis »

Les critiques et controverses autour du morceau mettent en lumière les défis et risques de l'engagement politique dans l'art. Toutefois, elles n’altèrent pas l'importance de ce projet et de son message. « No Pasaran », au-delà de ses paroles crues et de son ton provocateur, incarne l'esprit de résistance et de solidarité qui a toujours animé le rap. Même si ce genre est devenu fond de commerce pour certains partis politiques et est parfois regardé avec condescendance par certains élus, il continue de jouer un rôle crucial. En encourageant les jeunes à voter et à s'opposer à l'extrême droite, il rappelle que chacun a le pouvoir de faire une différence et que l'engagement artistique reste une force majeure, capable de mobiliser et de sensibiliser.