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Si nous avons aujourd'hui des vampires sexy, c'est grâce à "Entretien avec un vampire"

Avant le livre d'Anne Rice, ils n'étaient que d'horribles monstres

Si nous avons aujourd'hui des vampires sexy, c'est grâce à Entretien avec un vampire Avant le livre d'Anne Rice, ils n'étaient que d'horribles monstres

«Tous les vrais excentriques vont voir Nosferatu et Babygirl» déclare un post sur X qui a circulé sur tous les réseaux sociaux et qui fait référence au type de sexualité teintée de perversion qui domine les deux films. En effet, malgré toute son horreur gothique, sa violence et son insistance sur la maladie et la décomposition, le Nosferatu de Robert Eggers a parfaitement saisi l’intersection thématique de l’amour et de l’horreur, du désir et de la mort, qui rend le personnage du vampire une métaphore si efficace et polyvalente de la nature humaine et de ses désirs les plus profonds. De plus, un aspect remarquable du film est qu’Eggers a réussi à concilier parfaitement le concept original du vampire folklorique et sa puissante symbolique sexuelle – résolvant cette fracture dans le genre de la fiction vampirique qui avait divisé la représentation du vampire en deux courants : d’un côté les vampires comme créatures magnifiques et romantiques à la Twilight, et de l’autre les vampires monstrueux et sub-humains de films comme 30 jours de nuit, Salem’s Lot, etc.

La première de ces représentations est aujourd’hui la plus canonique grâce à des franchises comme Underworld et le même Twilight, The Vampire Diaries et True Blood, qui avaient “domestiqué” le vampire, le rendant presque un super-héros doté de pouvoirs comme la super-vitesse et la super-force, en plus d’une beauté devenue au fil du temps de moins en moins éthérée et de plus en plus proche des catalogues classiques d’Abercrombie&Fitch. Et s’il est vrai que dès ses débuts en littérature en 1818 avec The Vampyre, la figure de ce non-mort est associée à une beauté maudite et byronienne (en fait, l’inspiration du vampire-gentleman était littéralement Lord Byron) ainsi qu’à une sexualité perverse et “interdite”, il y a eu un tournant culturel essentiel qui a établi l’esthétique du vampire-sexy tel que nous le connaissons aujourd’hui. Et ce tournant a été l’iconique roman d’Anne Rice «Entretien avec un Vampire», devenu ensuite un film culte en 1994 avec Tom Cruise et Brad Pitt. Mais procédons dans l'ordre : quand les vampires sont-ils devenus sexy ?

Très dangereux, peu sexy

Après que l’Autriche ait annexé la Serbie et une région de la Roumanie moderne alors appelée Oltenia en 1718, des récits se sont répandus sur la façon dont, dans ces régions, il existait la pratique d’exhumer les cadavres pour les décapiter et leur planter un pieu dans le cœur. C’était la naissance du mythe du vampire, qui est devenu le centre d’une sorte d’obsession collective telle que l’Impératrice d’Autriche Marie-Thérèse de Habsbourg a demandé à son médecin de cour de mener ce que nous appellerions aujourd’hui une opération de démystification, qui, en effet, a démontré que les vampires n’existaient pas. Il était cependant trop tard, car toute l’Europe était déjà passionnée par ce mythe, que des poètes et écrivains, principalement allemands, ont commencé à inclure dans leurs compositions. Le Vampire d’Ossenfelder, Lenore de Bürger, La Fiancée de Corinthe de Goethe sont les textes les plus célèbres, suivis de plusieurs mentions dans les poèmes de Shelley, immensément célèbres à l’époque, et dans les compositions de Coleridge et Byron. À ce stade, le vampire était déjà à la fois beau et mortel, mais le trio d’œuvres qui a établi sa renommée à partir du XIXe siècle était Le Vampire de Polidori, Carmilla de LeFanu et, évidemment, à la fin du siècle, Dracula de Bram Stoker. Les trois œuvres littéraires fondatrices des vampires modernes étaient aristocratiques, mystérieuses et sexuellement dangereuses : séducteurs de jeunes filles innocentes, femmes tentatrices, incarnations d’angoisses sur l’homosexualité, destructeurs de mariages et de familles, contaminants physiques et moraux.

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La transgression sexuelle symbolisée par le vampire est toutefois restée à ce moment-là bloquée dans l’archétype de Dracula. Des films comme le Nosferatu original de Murnau et Vampyr de Dreyer en ont fait un monstre peut-être aristocratique mais très séparé de la société et peu semblable à un homme véritable – encore moins à un bel homme. Les choses ont changé avec le Dracula de 1931, celui avec Bela Lugosi, où le vampire devenait un monstre “sous couverture” avec la cape classique et le costume de soirée, mais dont le côté le plus sensuel restait essentiellement sous-entendu et inexprimé, et, en dehors de la saga littéraire et télévisée de Barnabas Collins, il faudra attendre 1971 pour voir les vampires insérés dans un contexte quotidien et réaliste.

Le roman qui a tout changé fut Salem’s Lot de Stephen King, un succès mondial, où cependant le vampire était encore une sorte de monstre surnaturel, calqué sur le Nosferatu de Murnau, et donc peu civilisé. Durant cette même décennie, une série de films d’exploitation majoritairement français, inspirés eux-mêmes du film Dracula’s Daughter de 1936, commencèrent à représenter le vampire non plus comme un simple prédateur sexuel mais comme un objet sexuel : Le Sang et la Rose en 1960, Les Amours d’un vampire en 1970, La Vestale de Satan en 1971, et surtout Vampyros Lesbos de Jesús Franco, sorti également en 1971, éliminèrent le sang et la décomposition pour accentuer les aspects sexuels et "esthétiques" du vampire. C’est précisément dans ce contexte qu’arriva une écrivaine qui allait modifier à jamais la narration autour des vampires : Anne Rice et son Entretien avec un Vampire.

"Entretien avec un Vampire" et la naissance du vampire 2.0

Au début des années 70, Anne Rice, qui approchait de la trentaine, était chercheuse universitaire à San Francisco. Elle avait une fille à qui on avait diagnostiqué une leucémie et qui mourut en 1972, laissant une marque profonde dans l’âme de la future auteure. Un an après ce deuil, elle commença à retravailler une nouvelle écrite auparavant, qui devint le roman Entretien avec un Vampire. Il fallut trois ans pour le faire publier, et bien qu’il ait reçu quelques critiques négatives à sa sortie, il devint rapidement un succès. De nombreuses années plus tard, en parlant du livre, Rice déclara qu’elle n’était pas une experte en la matière mais qu’elle s’était inspirée pour ses vampires du film Dracula’s Daughter de 1936 : «Pour moi, il a défini ce que sont les vampires, ces êtres élégants, tragiques et sensibles. Quand j’ai écrit Entretien avec un Vampire, je me suis inspirée de ce sentiment. Je n’ai pas fait beaucoup de recherches». En effet, les vampires d’Anne Rice se débarrassèrent des crucifix, des capes et des habits de soirée, décrivant les vampires comme des créatures immortelles, hautement intelligentes et dotées d’une moralité complexe et nuancée. Ces vampires étaient beaux et riches, vivant une vie de plaisir et de luxe, et le protagoniste du livre, Louis, était pratiquement le seul à se poser des questions sur le meurtre. Pour reprendre les mots de l’auteure, les vampires devinrent « une métaphore pour les âmes perdues », devenant essentiellement des héros romantiques solitaires.

En renversant la perspective de l’histoire et en faisant du vampire le narrateur plutôt que l’adversaire démoniaque et insondable, Rice décrivit son style de vie luxueux bien que problématique, sa capacité à observer le monde au-delà de la perspective humaine tout en pouvant se mêler aux hommes. Être un vampire devint presque désirable pour le lecteur. Pour la toute première fois, la pansexualité des vampires fut définie, découlant de leur immortalité et donc de leur dépassement de la morale conventionnelle. Vivant en dehors des conventions bourgeoises, les deux protagonistes étaient les “papas” de la vampire-enfant Claudia (inspirée directement de la fille décédée de Rice), au cœur d’une intrigue incluant des relations sentimentales et physiques avec des femmes comme avec des hommes. Pour la première fois également, la beauté éthérée et androgyne des vampires remplaça leurs aspects les plus macabres : leur apparence cadavérique devint une pâleur aristocratique, et leurs facultés furent assimilées à des super-pouvoirs. Il convient également de mentionner ici un autre roman, sorti en 1981, The Hunger de Whitley Strieber, qui humanisait encore davantage la figure du vampire et qui devint un film légendaire en 1983 avec Catherine Deneuve, habillée pour l’occasion par Yves Saint Laurent.

Le vampire sexy au cinéma

Si nous devions parler de l’histoire moderne du vampire sexy au cinéma en évitant les B-Movies érotiques des années 70, il faudrait peut-être commencer par le remake de Dracula, qui arriva à la fin de cette décennie, en 1979. Là, Frank Langella délaissa le jeu distant et glacé de Christopher Lee dans les films de la Hammer et créa un Dracula très humain, très charnel, mais aussi très lié à son époque : la première chose que l’on remarque aujourd’hui chez ce personnage, outre son teint éclatant et non cadavérique, c’est sa coiffure volumineuse. La même année sortit en Allemagne le Nosferatu de Werner Herzog, et le contraste entre les deux représentations ne pourrait être plus frappant : dans le film allemand, fidèle remake existentiel de l’original de Murnau, le vampire est une sorte de marginal, un creep déprimé à plaindre; dans l’autre film, le vampire est explicitement sexuel, presque agressif, bestial. À la moitié des années 80, il y eut ensuite l’iconique vampire de Fright Night, représenté comme un playboy des années 80, et Grace Jones dans Vamp!, qui incarnait plus une vampire moderne à la lecture dominatrice qu’un monstre pur et dur. En 1987, arriva le premier avant-goût des vampires-teenagers avec Lost Boys, et la première déconstruction du mythe du vampire à la fois en tant que monstre et en tant que sex-symbol dans le film fondamental Near Dark de Kathryn Bigelow.

@conde_de_saint_germain #bramstokersdracula #cine #terror #vampires #parati #viral #fypシ Love Remembered - Wojciech Kilar

Nous arrivons enfin aux années 90, dominées elles aussi par un film auquel le Nosferatu d’Eggers doit beaucoup, à savoir Dracula de Bram Stoker de Francis Ford Coppola, remake monumental et hallucinant qui pousse à l’extrême l’expressionnisme et le mélodrame, également grâce à un Gary Oldman qui unit les deux aspects du vampire classique : le dandy éloquant et poétique d’un côté et le monstre sous-humain de l’autre. L’interprétation d’Oldman, parmi les plus légendaires du genre, maintient les deux aspects du monstre séparés, apparaissant sous une nouvelle forme dans presque chaque scène, alternant l’homme et le monstre sans jamais fusionner réellement les deux aspects. Deux ans plus tard, ce fut au tour de Entretien avec un Vampire, avec son casting de haut vol et son subtil sens du camp : les costumes violets de Tom Cruise, les perruques longues, les gros plans du visage sculpté de Brad Pitt et de celui ambigu de Antonio Banderas. Le film répliquait les atmosphères du livre d’Anne Rice : ces vampires étaient jeunes, romantiques, mais surtout ils étaient presque volontairement beaux – non seulement plaisants comme tous les prédécesseurs, mais beaux comme des modèles, d’une beauté aussi vaguement androgyne, mais incontestable. Si beaux, en effet, qu’entre chemises décolletées, longues chevelures et regards intenses et langoureux, il était impossible pour quiconque que l’élément homosexuel (présent dans le roman mais totalement sous-entendu dans le film) ne soit quelque chose d’absolument évident.

L'expérience ne se répéta pas immédiatement : dans les années suivantes, il y eut des films où les vampires étaient purement des monstres, comme dans Vampires de Carpenter, ou des métaphores de la dépendance à la drogue, comme dans The Addiction d’Abel Ferrara. Il fallut attendre les sagas de Underworld et Blade pour que les vampires deviennent plus proches des super-héros, cool et vêtus de cuir noir, afin que leur image explose dans la culture pop. Dès la sortie de Dracula 2000, le comte transylvanien était interprété par Gerard Butler, soit le Leonidas de 300 ; dans Queen of the Damned, la reine des vampires était la légendaire Aaliyah. Curieusement, les vampires sexy réapparurent un décennie plus tard avec Twilight – disons curieusement parce que dans Twilight, les vampires sont beaux comme des idoles adolescentes, mais tout aussi chastes, "végétariens", éthiques et scintillants – presque comme pour dire qu’avec leur entrée définitive dans la culture pop contemporaine, le vampire lui-même s’était embourgeoisé, s’adaptant finalement à l’étiquette des comportements sociaux et se mêlant complètement aux gens normaux. Twilight déclencha une vampiro-mania, suivie de The Vampire Diaries et True Blood, ainsi que de films comme Byzantium, dont les protagonistes appartenaient davantage au "romance fantasy". Cette manie créa une vague de parodies et de déconstruction plus sérieuses du mythe du vampire, négligeant largement les symboliques sexuelles derrière son mythe – vague qui se poursuivit jusqu’au mois dernier, lorsque le vampire pervers et viscéral de Robert Eggers sortit de son tombeau pour tourmenter les rêves d’une pâle et mélancolique Lily Rose Depp.