La pipeline influenceur-journaliste expliquée

Léna Situations, EnjoyPhoenix et Sally ont pour point commun d’être des créatrices de contenus qui s’adonnent de temps à autre au métier de journaliste. En effet, ces jeunes femmes ont maintes fois interviewé les plus grandes stars de cinéma comme par exemple Timothée Chalamet et Zendaya lors de leur tournée presse pour la promotion de Dune Partie 2. Léna Situations a eu l’occasion de les recevoir sur son podcast pour un entretien d’une demie heure alors que pour les médias traditionnels, les booker pour quelques minutes serait déjà un exploit. Quant à Sally, elle a récemment interviewé Ariana Grande et Cynthia Erivo à l’occasion de la sortie de la comédie musicale Wicked. Une séquence marquante, où l’on voit la chanteuse de Positions les larmes aux yeux après une question de la créatrice de contenus engagée sur les critiques physiques qu’elle a dû affronter tout au long de sa carrière, est rapidement devenue virale. Mais comment ces influenceuses sont passées de publier des contenus sur les réseaux sociaux à tenir le micro aux célébrités Hollywood?  

La réalité, c’est que — au grand dam des journalistes traditionnels — les influenceurs parviennent à captiver une audience jeune et active, un public que la presse peine à toucher. Ce n’est plus un secret : la Gen Z suit principalement l’actualité via les réseaux sociaux. Selon le 34ᵉ baromètre Kantar Public, trois quarts des 18-25 ans s’informent avant tout sur Internet, et près de la moitié le font exclusivement à travers les réseaux sociaux. Dans ce contexte, collaborer avec des créateurs de contenus populaires permet aux médias de s’ouvrir à la Gen Z qui pourraient éventuellement s’intéresser à leur travail journalistique. Il s’agit d’une situation win-win pour les influenceurs, un exercice qui leur permet d’asseoir une sorte de légitimité à leur métier qui est très souvent décrié comme facile et superficiel. Léna Situations et Marie Lopez (plus connue sous le nom d’EnjoyPhoenix) incarnent toutes deux des entrepreneuses accomplies, ayant su bâtir de véritables empires médiatiques. Avec des millions d’abonnés sur leurs chaînes YouTube, elles ont collaboré avec les plus grandes marques de mode, lancé leurs propres entreprises et gammes de merchandising, et produit des podcasts écoutés par des centaines de milliers de personnes. Dans ce contexte, maîtriser l’art de l’interview  avec les médias traditionnels apparaît comme la dernière corde à ajouter à leur arc déjà bien fourni. 

Cependant, ce partenariat ne plaît pas à tout le monde. Lorsque Canal + a annoncé que Léna Situations couvrirait les interviews sur le tapis rouge des Césars 2024, la star a reçu une vague de haine, déplorant le choix de la chaîne. Selon les internautes, la jeune femme n’a ni la formation nécessaire en journalisme, ni les connaissances cinématographiques pertinentes pour prétendre à ce rôle. Les journalistes n’ont pas hésité à montrer leur agacement non plus. Sur X, Camélia Kheiredine, jeune journaliste avait alors publié :« Force aux jeunes journalistes férus de cinéma qui auraient kiffé la place de Lena ! Quand ils souhaitent rajeunir leur cible dans ce milieu, ils font appel à des influenceurs pourtant les jeunes journalistes pépites ça manque pas. Dommage qu’ils n’aient pas assez de followers ». La publication a été visionnée 2 millions de fois, créant un débat interminable sur la place des influenceurs dans le journalisme.

En 2021, les YouTubeurs McFly et Carlito avaient réalisé une vidéo en compagnie du Président de la République, Emmanuel Macron. La collaboration avait alors créé un déferlement de controverses, critiquant les deux hommes de prosélytisme alors qu’ils ont une jeune audience influençable. Le problème majeur de ce rôle hybride réside dans le fait qu’à la différence des journalistes qui sont soumis à une certaine obligation de neutralité, les influenceurs agissent principalement sous l’influence et la rémunération des régies publicitaires. Cette différence peut porter un impact important surtout quand la politique est mêlée. Il existe d’autres cas intéressants comme HugoDécrypte qui floue les limites d’influenceur et journaliste dès le départ. Force est de constater que dans une économie de l’attention, une panoplie d’industrie dépend du pouvoir des influenceurs.