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Dans "Le Déluge", une Marie-Antoinette comme vous ne l'avez jamais vue vous attend

Entretien avec le réalisateur et scénariste Gianluca Jodice

Dans Le Déluge, une Marie-Antoinette comme vous ne l'avez jamais vue vous attend Entretien avec le réalisateur et scénariste Gianluca Jodice

Sur les raisons pour lesquelles Marie-Antoinette continue d’être l’une des figures les plus étudiées dans les livres, les séries télévisées et le cinéma, le réalisateur et scénariste Gianluca Jodice a son avis : « Il y a la raison banale et immédiate qui nous ramène à l’époque de Versailles, où l’âme jeune et adolescente de la reine est restée cristallisée, surtout après la sortie du film de Sofia Coppola, et continue de fasciner par sa dimension mythique. Mais dans " Le Déluge ", nous ne nous sommes pas arrêtés là ; nous avons exploré le côté responsable et tragique d’une période très courte pour la souveraine, où son rôle de mère, d’épouse et de compagne affectueuse s’est révélé être un attachement insolite et peu exploré dans la relation intime et réelle qu’elle a eue avec Louis XVI. » C’est cette dernière facette que l’auteur, dans son deuxième film après Le Mauvais Poète, coécrit avec Filippo Gravino, a voulu approfondir. Une recherche « davantage axée sur la raison que sur la liberté, un discours complexe où les Lumières cherchent à bannir toute ombre de l’individu, allant jusqu’à punir la moindre impureté, devenant ainsi bien plus violentes et dégénérant dans un rationalisme logique. »

Ces réflexions et philosophies, Jodice les reprend et les adapte dans La Déluge - Les derniers jours de Marie-Antoinette, qui sort en Italie à partir du 21 novembre après avoir été présenté en avant-première au festival de Locarno, tandis qu’en France, il est attendu pour le jour de Noël. Une œuvre inspirée des journaux du valet Cléry, qui a assisté la famille royale pendant leur captivité en 1792, jusqu’à la décapitation. Si dans son premier film Jodice dirigeait Sergio Castellitto dans le rôle du poète Gabriele D’Annunzio, cette fois, ce sont Guillaume Canet et Mélanie Laurent qui incarnent les rôles principaux : « Je connais la langue, car j’ai fait ma thèse sur un philosophe français et mon professeur exigeait que je lise les textes en version originale. Je la comprends bien, je la parle moins, mais une fois sur le plateau, j’avais tellement clair en tête le scénario que je savais qu’il n’y aurait pas de problèmes, pas plus qu’un film historique et ambitieux ne peut en poser. » Un réalisateur comme Woody Allen, lorsqu’il a tourné son dernier long-métrage Coup de Chance dans les quartiers de Paris, a déclaré qu’il ne comprenait pas ce que disaient les acteurs en français, mais qu’il devinait si la scène fonctionnait grâce aux intentions qu’ils mettaient : « Malheureusement, nous ne pouvions pas nous permettre le snobisme d’Allen », commente ironiquement Jodice. « En racontant un moment si précis dans le temps, marqué par des passages emblématiques pour l’Histoire, nous avons fait appel à des linguistes pour rendre le langage accessible au spectateur tout en restant fidèle à la reconstitution du XVIIIe siècle. »

Un travail similaire a été réalisé pour le maquillage prothétique d’un Louis XVI qui dissimule l’acteur Canet sous un visage et une morphologie qui ne lui appartiennent pas, reconnaissable uniquement par la forme de ses yeux. « J’aime cacher les acteurs, mais je ne recherche pas la ressemblance forcée, comme on le voit souvent dans le cinéma américain. Un interprète doit évoquer un personnage, pas en faire une imitation ; c’est un équilibre très délicat. Sinon, on obtient des productions comme Bohemian Rhapsody, où Rami Malek est identique, mais ne capture pas l’esprit de Freddie Mercury. Le seul risque pour Guillaume était de se perdre sous le maquillage, vu la subtilité requise par le personnage. Certains pensent que Louis XVI était un Asperger, donc nous avons approfondi cet aspect, et Canet s’est fait aider par un ami qui donne des cours à des personnes atteintes d’autisme pour éviter des gestes trop théâtraux tout en préservant une certaine expressivité. »

Une préparation et un résultat que l’on peut obtenir « quand on a des acteurs extraordinaires, des virtuoses », raconte Jodice. « Des acteurs qui ont aimé le scénario et sont entrés dans une sorte de coproduction, renonçant même à une partie de leur cachet pour permettre au film de voir le jour. » Avec de tels interprètes, il est également possible d’aborder les séquences les plus difficiles. Une en particulier troublait Mélanie Laurent avant le tournage : un cri déchirant, moment unique et immense de douleur dans ce que Jodice appelle un « drame carcéral », où Marie-Antoinette exprime toute la souffrance refoulée marquant la fin de la monarchie et de leurs vies. « Mélanie était terrifiée par cette scène. Vivant loin des salons parisiens, dans le sud, elle m’a raconté qu’elle descendait sur les rochers pour crier face à la mer. Elle se demandait si la scène devait vraiment durer aussi longtemps. Lors du montage, nous l’avons légèrement raccourcie, bien qu’elle reste un moment éprouvant comme la situation l’exigeait. Pendant la scène, elle portait des écouteurs, et j’ai découvert ensuite qu’elle écoutait de la musique en criant. Elle voulait se détacher de cette douleur animale que son personnage exprime et que, pour moi, il était excitant de filmer, car c’était le signe d’une prison diabolique dont les personnages ne pouvaient échapper. »

Entre récits populaires et fidélité historique, pour La Déluge - Les derniers jours de Marie-Antoinette, le réalisateur a dû non seulement reconstituer ou étudier, mais aussi oublier tout un univers de références au cinéma en costumes ou à l’art pictural, afin de permettre au film de trouver sa propre identité, toujours avec l’ombre de *Barry Lyndon* de Stanley Kubrick en arrière-plan. « Cela m’a rappelé ce que disait Danilo Donati, décorateur et costumier des films de Federico Fellini. Quand on lui demandait quel était le style esthétique adopté pour *Casanova*, il répondait qu’il allait au musée, regardait tous les tableaux du XVIIIe siècle, fermait les yeux, partait et reproduisait ce qui lui restait en mémoire. Bien que dans *La Déluge*, il n’y ait pas eu une telle élimination des détails, j’ai été frappé par ce désir de reproduction plus platonique que réaliste, un exemple de travail qui ramène à l’essence. »

Parmi les autres collaborations importantes, il faut souligner la présence dans la production de Paolo Sorrentino, avec qui Gianluca Jodice partage une enfance passée à tourner des courts métrages ensemble et, comme le raconte l'auteur de È stato la mano di Dio (La main de Dieu), le changement de vie qu'a représenté le fait de déménager de Naples à Rome. "Le Déluge est une coproduction italo-française. Avouons-le, connaissant les gens en particulier, il n'était pas évident qu'ils acceptent qu'un réalisateur qui en était à son deuxième film choisisse de raconter une période cruciale comme la Révolution française, et je dirais que c'était presque à juste titre. Ainsi, après une période initiale de dialectique angoissée sur le financement, sur la question de savoir si le film devait être fait ou non, j'ai appelé Paolo, qui a une grande base de fans en France, et après avoir lu et aimé le scénario, il a décidé d'entrer dans la production, en alignant les contributions des deux pays. «  Le Déluge - Les derniers jours de Marie-Antoinette arrive donc dans les salles de cinéma à un moment crucial pour le destin de tout un monde globalisé, à la dérive en termes de sécurité et, peut-être, d'idéaux. Une rupture, certes différente de la révolution dont parle le film, mais dont le sentiment d'énorme transformation sociale, politique et culturelle n'est pas si éloigné des grands changements (souvent effrayants) que vivent tous les pays. « C'est le public lui-même qui l'a fait remarquer », explique M. Jodice. "Beaucoup disent à quel point l'accroche à la contemporanéité est évidente, même si elle n'est jamais théorisée dans le film. C'est le sentiment de vertige que l'on ressent au seuil des changements historiques, une atmosphère apocalyptique sur quelque chose qui se termine et qui ouvre un avenir inconnu. Nous-mêmes, aujourd'hui, vivons dans l'ambiguïté de ne pas savoir ou comprendre ce qui va se passer, où l'on perçoit une hystérie et une angoisse sous-jacentes, où les principes qui avaient été brandis ont été désillusionnés, si bien qu'en ces termes, Le Déluge est un film plus métaphysique qu'historique. "

Une œuvre sur le passé qui jette un pont vers le présent qui, pour Jodice , « semble aller de plus en plus mal, sans sophisme ni rhétorique. Et il ne s'agit pas de la droite ou de la gauche, mais d'une détérioration anthropologique.Comme les films historiques ont tendance à le souligner, on se rend compte à quel point la conscience éthique, la conscience de la justice, est souvent absente de ces parenthèses. On est enveloppé par un irrationalisme irrépressible, qui est ma crainte la plus noire. Il n'y a pas d'illumination qui tienne quand une telle avalanche arrive. « Qui sait si ce ne seront pas des thèmes que Gianluca Jodice abordera également dans son prochain film sur lequel il travaille déjà et qui, après le seuil de la Seconde Guerre mondiale avec Le Mauvais Poète et la Révolution française avec Le Déluge, se situera dans le monde contemporain : » Je n'ai pas cherché à faire des œuvres en costumes, en faire deux à la suite, c'est arrivé comme ça. Jene suis pas historien, je n'ai pas de manies particulières. Si je devais trouver le trait qui unit le plus mes deux films réalisés jusqu'à présent, je dirais que c'est le sens de la fin, qu'il s'agisse d'une époque ou d'un personnage. Les grands protagonistes touchent des moments forts et traumatisants, atteignant le point de non-retour. "