Médias sur liste noire LVMH, les journalistes ripostent
Liberté de la presse contre pouvoir des entreprises : la bataille s'intensifie
27 Septembre 2024
Décidément, Bernard Arnault et les médias ne font pas bon ménage. Lundi 18 septembre dernier, La Lettre, journal spécialisé dans le milieu du luxe, a révélé une note interne à LVMH envoyée par le patron milliardaire lui-même, dans laquelle il ordonne à ses équipes l’interdiction formelle de tout échange avec sept médias indépendants dont Mediapart et le Canard Enchaîné, en dehors des canaux de communications officiels. En d’autres termes, toutes interactions en «off» avec les journalistes figurants sur la liste noire, qu'il qualifie de « sites dits d’investigation qui se servent de l’attrait du public pour le luxe pour attirer de manière racoleuse un nouveau lectorat» seraient considérées comme faute grave, comportant un risque de licenciement. Face à cette bavure à la liberté d’expression, que l’entreprise de luxe n’a pas démentie à ce stade, une quarantaine de sociétés de journalistes et de rédactions ont exprimé leur solidarité envers les rédactions des médias visés, dans un texte publié en ligne. Parmi les signataires, nous retrouvons Arte, BFM TV, Le Monde, ainsi que trois des sept médias concernés: Mediapart, l’Informé et Miss Tweed mais également le Parisien et les Échos qui font partie du groupe LVMH.
« Journalistes peu scrupuleux », « sites dits d’investigation », « médias racoleurs »... Selon @lalettre_fr, Bernard Arnault a établi une liste noire de sept médias auxquels les dirigeants de LVMH ont interdiction de parler sous peine de licenciement. pic.twitter.com/Dg699cxYfF
— Donatien Huet (@dodonatien) September 18, 2024
Les signataires rappellent fermement que la mission de la presse n’est pas de relayer la communication officielle des entreprises et institutions, mais d’informer, et que cela constitue un des piliers de la démocratie. «Au-delà de la dénonciation de la critique explicite des sept médias cités − et du mépris implicite de ce message pour le travail des autres rédactions −, les sociétés de journalistes saluent le courage de celles et ceux qui apportent aux journalistes de précieux témoignages et de précieuses informations afin de leur permettre au quotidien de remplir leur mission» déclare le communiqué. Les septs médias listés, Mediapart, l’informé, le Canard Enchaîné, Glitz Paris, Miss Tweed, Puck et la Lettre ont pour point commun d'être des médias indépendants qui n’hésitent pas à couvrir les dessous les moins glamour du luxe. Quelques jours avant la diffusion de la note interne, La Lettre avait publié un article sur l’accession de deux des fils Arnault au conseil d’administration de LVMH. Une publication qui a sûrement déplu à l’homme d’affaires de 75 ans car dans son email, il déclare: «J’ajoute que nous sommes un groupe familial et je rappelle à tous l’interdiction formelle de communiquer des informations ou des commentaires sur la famille.»
On comprend mieux pourquoi quand, avec la camarade @khedidjabe, on interroge LVMH, le silence est devenu total. Certes, avant, on en était aux menaces de procès virulentes (jamais concrétisées), mais c'était une forme de relation. https://t.co/9dE4JWsQRM
— Dan Israel (@dan_mdpt) September 18, 2024
De plus, à l’exception de Puck et Miss Tweed, tous ces médias se basent sur un modèle économique qui ne recourt pas à la publicité des grands annonceurs afin d’assurer une indépendance journalistique. Ce qui complique la tâche pour le magnat de luxe de potentiellement exercer des pressions financières ou politiques sur ces derniers. Cette tentative de censure inquiète le monde journalistique, d’autant plus que Bernard Arnault est propriétaire de quelques médias. Carine Fouteau, présidente et directrice de la publication de Mediapart s’exmprime auprès de Libération: «C’est déplorable, et cela montre le peu de cas que ce milliardaire fait de la liberté d’informer et du droit de savoir. C’est dramatique quand on sait que Bernard Arnault est aussi un patron de presse. Pensées à ses équipes qu’il intimide par ce courrier, et aux journalistes salariés des titres qu’il possède. De notre côté, cela n’entravera en rien notre détermination à enquêter et informer le public.» Alors que l’objectif du PDG était de museler ces médias, il semble que c’est tout le contraire qui se déroule car ce scandale a été relayé par d’innombrables journaux ces derniers jours, offrant une visibilité accrue aux organes de presse visées.