Les toits de Paris potentiel patrimoine de l'UNESCO ?
Entre patrimoine et défis climatiques, un savoir-faire en quête de reconnaissance
02 Septembre 2024
Perchés au sommet de la Ville Lumière, les toits en zinc captivent depuis des siècles les touristes en vacances à la recherche d'expériences typiques mais aussi les Parisiens éternellement sous leur charme de leur ville natale. Leur éclat métallique, les cheminées qui les jalonnent et les courbes élégantes des lucarnes sont autant d’éléments qui participent au charme unique de la capitale française. Pourtant, ces toits emblématiques sont aujourd'hui au centre d'un débat crucial. Derrière la beauté apparente se cachent des défis contemporains qui mettent à l’épreuve ceux qui les façonnent. Alors que la France s’apprête à défendre la candidature des couvreurs-zingueurs et des ornemanistes parisiens au patrimoine immatériel de l’Unesco, une bataille plus large se joue : comment préserver ce savoir-faire historique tout en l'adaptant aux impératifs du changement climatique et aux exigences modernes ?
Les toits en zinc de Paris, qui couvrent près de 21,4 millions de mètres carrés, ne sont pas seulement des éléments architecturaux ; nés au XIXe siècle, ils ont donné à Paris son apparence mondialement reconnaissable. Aujourd'hui, ils sont un symbole indissociable de la capitale française, contribuant à son esthétique unique. Comme le souligne Delphine Bürkli, maire du IXe arrondissement, «Paris vu d'en haut, ça se voit qu'on n'est pas dans une autre ville.» Derrière chaque toit se cache un artisanat complexe. Les couvreurs-zingueurs, maîtres de l’étain et du plomb, et les ornemanistes, qui sculptent œils-de-bœuf et faîtages, perpétuent un savoir-faire transmis de génération en génération. Ensemble, ils ont érigé un paysage urbain où chaque toit raconte une histoire vieille de près de deux siècles. En 2014, l'idée de protéger ces toits en tant que patrimoine mondial semblait prometteuse. Mais l’ampleur du projet et la crainte de freiner les possibilités de construction ont conduit à une réorientation : ce ne sont plus seulement les toits, mais surtout les hommes et les femmes qui les créent qui sont mis en avant. «C'était finalement plus intéressant de mettre en valeur le métier lui-même que les toits en tant que tels», explique Gilles Mermet, coordinateur de la candidature à l'Unesco. Cette reconnaissance serait une bouffée d'air frais pour une profession en crise, peinant à attirer de nouvelles recrues malgré un héritage prestigieux. Chaque matin, il manquerait près de 500 couvreurs-zingueurs à Paris pour répondre à la demande, une pénurie qui souligne la nécessité urgente de valoriser ce savoir-faire.
Si les toits en zinc sont indissociables de l'identité parisienne, ils sont aussi au cœur de controverses modernes. En effet, ces surfaces réfléchissantes contribuent à l’effet d’îlot de chaleur urbain, exacerbant la hausse des températures dans une ville déjà dense et minérale. Près de 80 % des toits parisiens sont recouverts de zinc, un matériau qui absorbe et réfléchit la chaleur, augmentant les températures dans les logements situés sous ces derniers. Des études récentes, comme celle menée par Roofscapes, ont montré qu'ils peuvent chauffer l'air ambiant jusqu'à 10 degrés au-dessus de la température extérieure. Pendant la nuit, la température des logements sous les combles peut rester jusqu'à 6 degrés plus élevée que celle des étages inférieurs. Selon Eytan Levi, architecte et cofondateur de Roofscapes, «la nuit, le zinc en surface se refroidit, mais la chaleur continue de pénétrer à l'intérieur», exacerbant ainsi les conditions de vie pour les habitants. Face à ce problème, les solutions proposées divergent. Une étude de l'Apur en 2022 a révélé que 52 % des toits parisiens, trop sombres, ont un albédo faible, ce qui signifie qu'ils absorbent la chaleur au lieu de la refléter. Certains experts plaident pour repeindre les toits en zinc dans des teintes plus claires afin de mieux réfléchir la chaleur solaire. Cette idée, portée par le rapport «Paris à 50°C», suggère que des couleurs plus claires pourraient réduire les températures à l’intérieur des habitations. Cependant, Gilles Mermet s’oppose à cette solution, la jugeant coûteuse et peu durable : «Ça va augmenter les prix de la restauration des toits. Avec la pluie, votre peinture va finir par se cramer et aller à la mer», affirme-t-il. Pour lui, le véritable enjeu est l'isolation des bâtiments anciens, souvent absente ou insuffisante, plus que la couleur des toits.
La ville de Paris se trouve à un carrefour. D’un côté, il y a la nécessité de préserver un héritage unique, inscrit dans le cœur des Parisiens et admiré par les millions de touristes qui affluent chaque année. De l'autre, il y a l'obligation de moderniser les infrastructures pour les rendre plus durables et résilientes face aux défis environnementaux. L’inscription des savoir-faire des couvreurs et ornemanistes au patrimoine immatériel de l'Unesco pourrait avoir des répercussions importantes. Cela pourrait restreindre les possibilités de modernisation de la ville, en imposant des normes strictes pour toute intervention sur les toits protégés. Cependant, cette reconnaissance offrirait également une opportunité unique de revitaliser un métier en déclin et de protéger un patrimoine en danger. Comme l’a souligné Delphine Bürkli, «la candidature française, c’est aussi une réflexion sur le devenir de la ville et l’adaptation de ces métiers face aux enjeux climatiques».