Luca Pronzato, prince de la gastronomie nomade
Personne connait les restaurants éphémères comme le fondateur de We are Ona
04 Luglio 2024
Joshua Tarn
Une chemise avec deux grandes poches frontales de style workwear, un pantalon ample et des derbies en cuir. Ce matin-là, dans son bureau du 10e arrondissement, en plein cœur de Paris, Luca Pronzato nous accueille dans une tenue total black simple mais chic, souvent l'uniforme des esprits les plus créatifs. Le lieu reflète cette curiosité globale et cette attention aux détails qui distinguent les événements de We Are Ona, le studio culinaire qu'il a fondé en 2019 et qui a cassé les codes de la gastronomie de manière irréversible avec son concept de restaurant éphémère. Un parquet au sol, des murs en briques avec de longues baies vitrées et des plafonds avec poutres en bois apparentes encadrent un espace rempli de pièces de design. Ici, un fauteuil issu de la collaboration entre Muller Van Severen et KASSL Editions. Là, l'emblématique Luce Orizzontale S1 Hanglamp de Flos pend du plafond au-dessus d'une longue table en bois servant de qg pour les réunions. Sur les étagères de l'énorme bibliothèque de l’une des pièces, des vinyles allant du jazz de Louis Armstrong au rock de Santana, accompagnent les dizaines de livres de mode, de photographie, de design et, bien sûr, de cuisine. Sommelier de formation avec un passé à la tête de l’ancien Chez Alfred puis une expérience de trois ans en salle au Noma de Copenhague, à 32 ans Luca Pronzato fait partie de ces figures de la gastronomie que tout le monde s’arrache. D’une beach House érigée sur la côte turque, face aux îles de Léros et Kalimnos, jusqu’à un vieux réservoir d’eau à Bâle, en passant par un garage industriel au cœur du Marais, ce jeune homme qui a l’art de dresser la table dans le sang a investi au cours des dernières années les lieux les plus insolites pour donner vie à des expériences culinaires uniques.
Que signifie être “nomade” pour vous ?
Le nomadisme est lié au voyage. Dans mon univers, le voyage permet de découvrir de nouvelles cultures et de s'abreuver de différentes traditions culinaires. Chez We are Ona, c’est ça qui nous fait avancer et qui nous inspire.
D'ailleurs, vous avez été un peu nomade pendant toute votre carrière.
En effet, j’ai toujours voyagé. Pendant mon expérience en tant que sommelier, j’ai fait un tour du monde du vin dans une trentaine de pays : Angleterre, Italie, Danemark, Allemagne, Japon... Tout cela a fait de moi ce que je suis aujourd’hui.
Vous avez toujours eu une passion pour le vin naturel, qui aujourd’hui a conquis une place importante sur le marché. À l'époque, cependant, ce n'était pas une tendance.
J’ai eu la chance de travailler chez Anselme Selosse en Champagne à 18 ans, ce qui m’a donné les chances de développer cette passion. C'était très différent, oui. La consommation était basée sur des vins plutôt rouges et corpulents, il y avait moins d'intérêt pour les vins fruités et légers.
Quel est votre vin préféré ?
Je n’ai même pas de plat préféré. Mais une des bouteilles qui m’a donné vraiment les frissons, c'est “Initial” de Anselme Selosse.
Celui que vous aimez ramener lors d’un dîner chez des amis ?
La Malvasia di Candia du vigneron Francesc Boronat, basé dans le sud de la Catalogne ! C’est un blanc très léger, avec une aromatique qui rappelle les vins italiens. Je le mets aussi en CANETTA!
Parmi les nombreuses étapes de votre parcours professionnel, il y a le Noma. Qu'apprend-on là-bas ?
J’ai toujours trouvé que les clients devaient partir d’un restaurant avec un souvenir, grâce à ce moment qui est forcément un moment de gastronomie, mais également de design, de service et d'atmosphère. C’est chez Noma que j’ai appris à créer des expériences culinaires entières.
Quand vous êtes-vous lassée de la gastronomie classique ?
Pour être honnête, je ne me suis pas lassé de la gastronomie classique. J'aime bien les restaurants traditionnels, qui sont pleins de talents incroyables. Mais je ne me voyais pas évoluer créativement dans ce format. Ainsi, je me suis demandé comment créer plus d’horizontalité et valoriser chaque talent, tels que les chefs, les sommeliers, les serveurs, les designers, ou encore les architectes, les fleuristes, les baristas… De cette question est né We are Ona.
Eh bien, définissez We Are Ona.
C’est un studio culinaire qui crée des expériences food éphémères autour du monde. L'idée, c’est de rassembler une communauté de talents qui ne sont pas seulement ses chefs mais des créatifs de toutes sortes.
Quelle a été la partie la plus difficile de la création de ce concept ?
Le début. Quand on se lance dans une aventure entrepreneuriale, on a souvent des modèles. Ce n'était pas le cas pour nous. Nous avons dû faire beaucoup de tests, de découvertes, d’erreurs. Maintenant, même si les événements se différencient les uns des autres, nous avons trouvé notre modus operandi.
Que voulez-vous retrouver dans ces événements ?
Une expérience gastronomique globale. Et des bons souvenirs.
Au cours des cinq dernières années, il y a eu beaucoup d'événements. Lequel a une place particulière dans votre cœur et pourquoi ?
Je pense forcément à celui de Venise, en 2022, dans un vieux palazzo, anciennement demeure de Casanova. Dans le menu, il y avait des tagliatelle de seiches et guanciale inoubliables. Ce soir-là, nous avons eu Isabelle Huppert et Julianne Moore assises à la même table. Mais il y a eu aussi le pop-up avec le designer Harry Nuriev à Paris, où les guests ont eu la chance de manger sur un comptoir disposé tout autour d'une espèce de grande fontaine composée d'éviers. Génial.
Aujourd’hui, le monde de la mode imprègne d'autres mondes, tout comme celui de la cuisine. Dans certains de vos événements, ces deux se rencontrent à mi-chemin.
Tout à fait, car nous croyons que la gastronomie a une place importante dans le processus de création de l’univers d’une marque. À travers la nourriture, on peut créer une communauté autour d’un brand, on peut représenter sa poésie et son essence.
À propos de style… Il me semble que vous recherchez une certaine distinction, mais sans vouloir en faire trop.
Vous avez raison (rire, ndlr), j’aime bien avoir une approche sobre à la mode. L’uniforme de service est ma tenue de tous les jours.
Et si vos événements étaient des défilés ?
Dans ce cas, les shows de Maison Margiela seraient une inspiration.
Le monde du luxe n’est pas le seul à être séduit par la gastronomie, qui a toujours été un terrain fertile pour le cinéma et la télévision. Aujourd'hui, avec The Bear, cet engouement paraît encore plus important. Qu'est-ce que la série raconte bien de ce monde ?
Comme beaucoup de métiers, la gastronomie vit à des rythmes différents, qui demandent beaucoup d’investissements personnels et beaucoup d’efforts. Parfois, il y a des excès. Mais depuis quelques années, une toute nouvelle génération essaie de porter une vision différente, de montrer qu’il est possible de travailler moins et mieux. C’est une cause que j’ai toujours défendu et que j’ai retrouvée dans The Bear.
Après Ona, le concept de résidence et de cuisine nomade est même devenu une tendance…
Bien sûr ! Mais nous sommes ravis de toutes les tendances, nous sommes inspirés par les jeunes talents ainsi que par les plus affirmés, par les nouveaux formats ainsi que par les restaurants traditionnels.
D’accord. Comment voyez-vous la gastronomie évoluer dans les prochaines années ?
Dans ce monde, le restaurant traditionnel aura toujours sa place. Mais je crois que dans le futur nous pourrons profiter d'un éventail plus large de formes d'expression et idées culinaires variées.
Et vos projets pour la suite ?
Je veux amener We Are Ona dans d’autres pays. À ce propos, nous avons lancé récemment une collaboration avec la foire d’art moderne et contemporaine Art Basel, qui prévoit toute une série de pop-up d’ici l’année prochaine. Le premier, à Bâle en mi-juin, a mis en vedette la chef japonaise Sayaka Sawaguchi et le designer français Pierre Marie. Après, il y aura Paris en octobre, Miami en décembre et Hong Kong à mi mars.