Après la Fast Fashion, la Fast Déco
Quand nos intérieurs deviennent les nouvelles victimes de la surconsommation
22 Mai 2024
Plus que jamais, notre désir de fraîcheur et de nouveauté s’étend au-delà de nos garde-robes pour envahir nos salons, nos cuisines et même nos salles de bains. On refait sa décoration au gré des saisons et des modes, achetant à bas prix pour suivre les dernières tendances observées sur les plateformes. La fast déco, c’est ce besoin compulsif de nouveauté qui transforme nos intérieurs en scènes de théâtre où chaque saison a son acte, son décor. En moyenne, près de la moitié des Français renouvellent au moins une fois par an les éléments de leur pièce à vivre. Rien de surprenant, donc, que la fast déco suive les traces de la fast fashion. Même appétit insatiable pour le changement, mêmes prix ridiculement bas qui nous font oublier la vraie valeur des choses. Les enseignes se multiplient, les collections se renouvellent à un rythme effréné, et notre planète en paie le prix fort. Ikea, Maisons du Monde, Zara Home, H&M Home : tous surfent sur cette vague, ajoutant des milliers de nouvelles références chaque année. Le nombre d'éléments d'ameublement a bondi de 88 % entre 2017 et 2022, nous inondant de choix aussi inutiles qu’irrésistibles. Mais à quel coût, exactement ? Dans un rapport publié en début de mois, l'association Zero Waste France tire la sonnette d’alarme sur ce mode de consommation. On vous explique tout.
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Entre 2017 et 2022, le marché de l'ameublement et de la décoration en France a presque doublé, passant de 270 millions à plus de 500 millions d'unités. C’est comme si chaque foyer français achetait 17 nouveaux objets de décoration chaque année. On ne s'attache plus à nos meubles, on les consomme. Résultat ? Un marché estimé à 26 milliards d’euros. Les meubles, autrefois compagnons de vie, sont devenus des objets éphémères de notre quotidien. Un phénomène qui s’est notamment accentué avec la pandémie du Covid19 et les confinements à répétitions. Nos salons se sont transformés en bureaux, nos chambres en gymnases, et nos balcons en jungles urbaines. Redécorer est devenu une thérapie pour supporter l'enfermement et le mantra “home sweet home” est devenu un chantier perpétuel de rénovation émotionnelle. Les grandes enseignes y jouent aussi un rôle, utilisant diverses stratégies pour stimuler la demande et augmenter les ventes. Ikea, le géant suédois, ajoute environ 2 000 nouvelles références à son catalogue par an. De son côté, Maisons du Monde suit la cadence en proposant 3 000 nouvelles références par an. L'offre est pléthorique, satisfaisant toutes les envies et lubies déco. Quant à Zara Home et H&M Home, ces pionniers de la fast fashion n'ont pas tardé à envahir nos intérieurs avec des produits tendances et tout aussi éphémères, surfant sur la vague avec une aisance déconcertante.
Les plateformes en ligne s’ajoutent également à l’équation, avec Amazon et Cdiscount, géants de l'e-commerce, offrant une infinité de choix à portée de clic, 24 heures sur 24. Ces sites facilitent l'accès à une multitude de produits, encourageant des achats impulsifs à toute heure du jour et de la nuit. Shein et Temu, plateformes d'ultra fast fashion, n'ont pas tardé à envahir le secteur de la décoration. Proposant des objets à des prix défiant toute concurrence, elles ont renforcé la culture de l’instantanéité et du jetable, transformant la déco intérieure en un marché aussi volatile que celui de la mode. Les réseaux sociaux peuvent être considérés comme le carburant de cette machine infernale. Instagram, YouTube, TikTok : chaque « haul » déco, chaque « unboxing » crée une envie irrésistible de réinventer son intérieur. Les influenceurs scénarisent leurs espaces, les marques proposent des promotions flash, des comptes à rebours, et autres stratégies de gamification pour inciter à l'achat impulsif. Le résultat ? Une consommation frénétique, exacerbée par le besoin de montrer, de partager et de se conformer aux tendances.
Cette dynamique de surconsommation, alimentée par les réseaux sociaux, transforme nos intérieurs en vitrines éphémères et sans cesse renouvelées, avec des conséquences environnementales et sociales désastreuses. Selon Zero Waste, la fast déco a conduit à une augmentation significative des déchets d'ameublement. Entre 2014 et 2020, la quantité de ces déchets a doublé. En 2023, près de 1,3 million de tonnes de déchets d'ameublement ont été collectées en France, soit environ 18,7 kg par habitant. Et que dire de la déforestation ? La production de meubles, en particulier en bois, pour répondre à la demande croissante, accélère le processus. Selon les estimations, Ikea, l'un des plus grands producteurs de meubles, utilise un arbre toutes les deux secondes pour sa production. Une exploitation intensive qui a lieu y compris dans les forêts primaires, où des pratiques telles que les coupes rases sont couramment utilisées. Ces actions non durables ont des conséquences écologiques graves et participent activement à la perte de biodiversité et la perturbation des écosystèmes.
Autrefois, un meuble était un investissement pour la vie. Aujourd'hui, il semble que nos meubles aient une date de péremption intégrée, programmée pour nous inciter à en racheter de nouveaux tous les 15 ou 20 ans. Le comble étant que cette baisse de durabilité est accompagnée d'une difficulté accrue à recycler ces produits. Les objets de décoration et d'ameublement modernes étant fréquemment constitués de matériaux composites ou mélangés, rendant leur recyclage complexe et coûteux. En conséquence, une grande partie de ces produits finit dans les décharges, aggravant la crise des déchets. Comme Pauline Debrabandere, coordinatrice de campagne chez Zero Waste France, l’a souligné, "si ce n'est pas cher, c'est qu'il y a un autre problème quelque part, à l'autre bout de la chaîne et plutôt au niveau de la production". Comme d’habitude, derrière les prix alléchants se cachent souvent des conditions de travail déplorables pour ceux qui fabriquent nos bibelots et nos meubles à l'autre bout du monde. Le coût social de la fast déco est élevé, avec des travailleurs exploités dans des usines où les droits fondamentaux sont souvent bafoués au nom du profit. Pour couronner le tout, malgré l’augmentation de la consommation de produits de décoration, la filière française de l'ameublement n'a pas bénéficié de cette croissance. Au contraire, elle a subi une perte significative d'emplois. En 15 ans, le secteur a perdu un quart de ses effectifs. Les fabricants locaux, souvent incapables de rivaliser sur les prix et les volumes, sont les plus touchés par cette évolution du marché.
Il est indéniable que la fast déco à l’instar de la fast-fashion est devenue une véritable épidémie de consommation. Les chiffres fournis par Zero Waste France sont alarmants, révélant l'ampleur du problème et l'urgence d'agir. Mais soyons clairs : nous ne sommes pas sans solutions. En favorisant l'auto-réparation, l'upcycling, les ressourceries, les recycleries mais aussi les plateformes en ligne de revente de meubles telles que Leboncoin ou Selency, nous pouvons réduire les déchets et prolonger la durée de vie des objets. De plus, des politiques et réglementations efficaces, telles qu'un système de bonus-malus et des quotas de production, peuvent être mises en place pour encadrer cette surconsommation. Ces solutions sont des pas dans la bonne direction, mais elles nécessitent un engagement ferme de la part des entreprises, des gouvernements et de nous, en tant que consommateurs.