"Tu dois tester ce restaurant avant qu'il ne prenne l'étoile"
La crainte que les restaurants ne deviennent trop snobs
17 Mai 2024
Inviter ses followers à aller dans un certain restaurant gastronomique « avant qu'il ne reçoive l'étoile » est un conseil que l'on entend assez fréquemment parmi les créateurs qui se consacrent à la gastronomie. La conviction est que peu avant de devenir étoilé, un restaurant atteint son meilleur rapport qualité-prix: d'une part, il propose une cuisine extrêmement recherchée, visant précisément à obtenir la première étoile, tandis que d'autre part, les coûts du menu restent somme toute accessibles, justement parce que officiellement, le restaurant n'a pas encore reçu la plus haute distinction du guide Michelin. Cette dernière est la principale certification d'excellence pour une large partie du public, ainsi que l'objectif déclaré de nombreux professionnels. Gagner une étoile a un impact évident en termes de marketing et de revenus, car cette reconnaissance est généralement capable, à elle seule, d'influencer les circuits touristiques. Mais elle est aussi et surtout vue comme un aboutissement crucial, tant par les chefs que par le grand public. Pour un restaurant, entrer dans le circuit du "Guide rouge" – comme on appelle le guide Michelin, pour la couleur immuable de sa couverture – représente en effet un "avant" et un "après" dans son parcours. Mais si cette certification élève la renommée du restaurant, elle tend aussi à le rendre inévitablement plus exclusif, chose n'est pas entièrement apprécié par un certain type de public. La crainte, pour certains, est que les étoiles Michelin finissent par rendre un restaurant de haute cuisine moins accessible – et pas seulement d'un point de vue économique – en le rendant plus "snob". Dans ce sens, « Tu dois essayer ce restaurant avant qu'il ne reçoive l'étoile », est parfois aussi une recommandation d'aller dans un endroit avant qu'il ne devienne trop formel. C'est également la raison pour laquelle les établissements dits "étoilés-non étoilés", c'est-à-dire les établissements qui choisissent délibérément de ne pas courir à tout prix après les étoiles Michelin, tout en proposant des menus dégustation expérimentaux et de caractère, sont de plus en plus pertinents.
L’ascension des restaurants "étoilés non-étoilés"
marzapane, rome! 10 course dinner, with a kitchen view.. omg it was so good
De nombreux établissements - de plus en plus lorsqu'on y prête attention - décident de ne pas courir dans le circuit Michelin, et se positionnent par choix un pas derrière la première étoile. Parmi les passionnés, on les surnomment justement les "étoilés non-étoilés", et on se réfère souvent au concept de "New Trattoria" en terme d'identité. Ce mouvement gastronomique né en France au début des années 2000, puis arrivé en Espagne et enfin en Italie – à un moment où la restauration moyenne-haute, celle à cheval entre les étoilés et les osterias les plus authentiques, semblait presque avoir entièrement disparu, notamment dans les grandes villes. Les établissements qui aujourd'hui s'inspirent de cette identité offrent des combinaisons recherchées et loin d'être banales, où il y a cependant un grand respect du territoire, des matières premières et de la saisonnalité – valorisant des ingrédients et des saveurs "oubliés" ou inattendus. L'approche de la cuisine est donc plus décontractée, mais elle est en même temps très culturelle, grâce à la valorisation des produits modestes (les abats sont par exemple très populaires) et des recettes traditionnelles presque introuvables. Dans ces restaurants, le menu est généralement limité, mais varie fréquemment, et il n'est pas rare que des plats du jour soient présents en fonction des disponibilités du réseau d'approvisionnement – très sélectif. Alors qu'en cuisine règnent la technique et la rigueur, le service en salle est souvent essentiel, tout en restant chaleureux. Les prix ne sont pas toujours nécessairement populaires: il y a presque toujours un menu-dégustation, mais par rapport aux étoilés, il reste tout de même plus accessible, et cela se voit aussi à la réponse très positive du public.
Une sélection d'"étoilés non-étoilés" italiens
Un des premiers établissements à introduire en Italie le concept de "New Trattoria" est Trippa, dirigé par le chef Diego Rossi. Ouvert à Milan en 2015, dans le quartier de Porta Romana, à une époque où l'offre gastronomique dans la région était déjà en plein essor, il est devenu un nom très connu parmi les passionnés de cuisine. Les plats qui ont rendu célèbre son approche sont par exemple le vitello tonnato, entièrement revisité dans sa présentation et sa cuisson, ou encore l'os à la moelle cuit à la braise. Un autre nom qui en Italie a redonné du dynamisme à la restauration moyenne-haute est Mazzo, à Rome. Né à l'origine à Centocelle, dans la périphérie est de la capitale, il a ré-ouvert après quelques années de pause en 2024, en version 2.0 – dans le quartier San Lorenzo –, proposant des plats revisités dans une optique contemporaine de la tradition romaine, tels que les pâtes à la sauce pannicolo ou les tripes frites. Outre ces deux établissements, de nombreuses autres "New Trattorias" ont su s'imposer au cours de la dernière décennie: parmi les nombreuses, il convient de citer SantoPalato, Barred ou Marzapane à Rome ; Ahimé, Calmo, Allegra (tous dirigés par le restaurateur Lorenzo Costa) ou Mamo à Bologne ; Nebbia, Remulass (en particulier sous la chef Laura Santosuosso) ou Bentoteca à Milan ; Consorzio, Razzo ou Gaudenzio à Turin. Il s'agit d'un type d'approche qui, si vous le remarquez, s'est répandu de manière généralisée, y compris dans les petites villes: pensons par exemple à Trattoria da Lucio à Rimini (qui expérimente beaucoup la maturation du poisson), à Opera à Pesaro, au Ristorante Luce de Pérouse ou à Osteria da Oreste à Santarcangelo di Romagna, parmi tant d'autres.