Parures d'Identité : Les Costumes Conteurs de Miyazaki
Quand la mode traverse l'écran
20 Mai 2024
De nausicaä sur son deltaplane futuriste en passant par Princesse mononoke sur son loup sauvage géant et Chihiro traversant la cité interdite sur le dos du dragon Haku. Miyazaki a révolutionné l'animation, produisant des œuvres marquantes comme "Mon Voisin Totoro" et "Le Voyage de Chihiro", ce dernier ayant remporté un Oscar. Studio Ghibli créé avec son confrère, Isao Takahata, explore des thèmes universels à travers des films qui allient mélancolie et émerveillement, et a été honoré en 2024 avec une Palme d’Or d'honneur au Festival de Cannes. Ces films ne se contentent pas d'animer des histoires, mais invitent à la réflexion sur la croissance personnelle, l'impact environnemental et la complexité des relations humaines. Des caractéristiques souvent discutés mais savez-vous d'où le réalisateur emblématique du studio tire son inspiration pour le style vestimentaire de ses personnages atypiques ?
Dans "Le Château Ambulant" de Hayao Miyazaki, les costumes jouent un rôle clé, non seulement en embellissant le film, mais en révélant subtilement les traits de caractère de ses personnages. Le cas de la jeune Sophie et sa timidité pathologique se manifestent visuellement dès les premières scènes du film, où elle dissimule son visage sous un chapeau. Elle est vêtue d'un style victorien, avec des bottes hautes lacées, une robe avec un jupon en dentelle, un autre col et un boutonné. Situé dans un XIXe siècle fabuleux, le film transpose la vision idéale et romantique que les jeunes Japonais ont de l'Europe de l'époque, ce qui a donné naissance à la sous-culture très répandue de la Lolita gothique. La teinte délavée de sa robe bleue est une fenêtre ouverte sur sa perception d'une vie monotone, tout en exprimant son désir latent pour un monde plus exaltant. Les films de Miyazaki utilisent souvent les costumes pour communiquer bien plus que la personnalité, ils indiquent également le statut social et l'appartenance culturelle. Le jeune prince Ashitaka, dans "Princesse Mononoké", est un exemple frappant. Héritier de la tribu disparue des Emishi, il porte un Gho, un vêtement traditionnel du Bhoutan datant du XVIIe siècle. Miyazaki choisit de s'inspirer des tenues des minorités ethniques pour créer un lien visuel avec un passé lointain et méconnu. Ce choix vestimentaire enrichit le contexte historique et culturel du film, tout en mettant en lumière la méticulosité de Miyazaki dans la construction de ses mondes animés. Revenons maintenant sur l'œuvre la plus importante du réalisateur, "Le voyage de Chihiro". On retrouve une nouvelle fois une relation entre le message et la tenue de la protagoniste Chihiro, introduite en tenue typique de pré-adolescente des années 2000 au début du film, avec un T-shirt vert à rayures assorti d’un short rose. Elle se retrouve par la suite en uniforme rose forcé de travailler pour la sorcière Yubaba qui l’a renommée “Sen”. Ce changement vestimentaire marque le travail sur soi que la jeune fille devra effectuer. Particularité que le réalisateur aime utiliser, que l’on retrouve dans son dernier film “Le garçon et le héron” avec Notsuko. Lors de sa première apparition, elle capte l'attention avec une tenue remarquable par sa couleur vive et ses motifs distincts, mais vers la fin du film, ses vêtements deviennent plus souples et moins formels. Représentatif de ses conflits internes et de son effacement progressif, elle arbore, dans une des scènes finales, une robe blanche qui lui confère une allure presque spectrale, symbolisant son inévitable effacement.
On peut également parler du genre et du vêtement dans les films du studio. Lors d’une scène initiale du "Garçon et le Héron", Mahito Maki se rend à l’école, illustrant parfaitement la division genrée de la société à travers l’habillement des élèves : les garçons, regroupés d’un côté, portent des tons sombres, tandis que les filles, de l’autre, arborent des kimonos colorés. Ce contraste vestimentaire peut être interprété comme une critique de la rigidité des normes sociales au Japon, un thème cher à Miyazaki qui célèbre fréquemment des héroïnes affranchies des stéréotypes de genre. Dans ses œuvres, des figures féminines comme la guerrière de Princesse Mononoké en tenu de chasseur ou Nausicaä en combinaison pratique et contrastent avec des personnages masculins tels que le magicien Howl du "Château Ambulant", dont le style androgyne casse les conventions, fusionnant élégance masculine et attributs traditionnellement féminins comme des boucles d'oreille vertes. Ces nuances vestimentaires ne sont pas seulement des choix esthétiques ; elles reflètent une critique profonde des normes de genre et une invitation à repenser les rôles sociaux attribués.
L'univers vestimentaire dépeint dans les films du réalisateur ne se contente pas de refléter un éventail d'influences diverses mais nous raconte un caractère, un statut, un message ; il est devenu, au fil du temps, une source d'inspiration pour plusieurs designers comme Jonathan Anderson avec Loewe qui fera deux capsules collection en collaboration avec le studio, L.L Bean et d’autres marques qui ne se prononceront pas sur les influences de certains looks mais dont nous pourrons apercevoir des similarités évidentes. Ce phénomène illustre comment l'imaginaire cinématographique peut transcender l'écran pour imprégner le monde de la mode.