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SELF-PORTRAITS

L'accent devrait être mis sur l'allure, pas sur le visage

L’écriture, la guerre et la féminité

L'accent devrait être mis sur l'allure, pas sur le visage L’écriture, la guerre et la féminité

L'accent devrait être mis sur l'allure, pas sur le visage L’écriture, la guerre et la féminité

 

 

Avec ses cheveux gris brillants comme de la nacre frappée par le soleil, le visage couvert par son smartphone reflété dans le miroir de sa maison et une éloquence qui l'a menée des pages d'Elle à l'écriture de seize romans : résumer les 61 ans de vie de Sophie Fontanel est une tâche complexe, mais esquisser les caractéristiques qui en ont fait une icône est simple. Entre des tenues chics sans prétention et peu de maquillage - comme le veut la pratique de la mode parisienne - Fontanel a fidélisé ses 367 000 abonnés en restant fidèle à elle-même et en ayant le courage de s'exposer sur des sujets qui ont redéfini la narration autour de l'expérience des femmes dans la société contemporaine. Du choix de montrer sa chevelure au naturel (bien avant que les "cheveux argentés" ne deviennent une tendance), au courage de parler de sujets personnels comme l'abstinence, Fontanel montre comment la libération sexuelle réside également dans le fait de ne pas le faire, si on ne le souhaite pas. La conversation est rapidement entrée dans le vif du sujet, abordant des points peut-être encore inexplorés et cherchant à trouver un sens, à tracer un chemin, pour toutes ces femmes qui ont choisi la mode et la culture comme voie à suivre et qui, pour cette raison, se sont parfois senties un peu perdues.

 

En prenant des selfies où tu couvres ton visage mais montres ton outfit, tu as créé un véritable langage social. Était-ce spontané ou cette façon de te représenter cache-t-elle un message ?

 

Le geste de cacher mon visage a été le résultat de plusieurs intuitions. La première, c’est d’avoir identifié que l’air un peu vide de la plupart des influenceurs est un point faible. Je trouvais que ça ne donnait pas envie. La deuxième, c’est d’avoir compris que l’accent devait être mis sur l’allure, pas sur le visage. L’allure est la clef de tout. C’est la vraie leçon -et la seule peut-être - de la mode. La troisième, c’est d’avoir fait de mes cheveux blancs une signature telle qu’il n’y avait même pas besoin de voir mon visage pour me reconnaître. 

 

Dans votre livre "La Vocation", vous comparez votre parcours de vie à celui de votre grand-mère qui a dû quitter son pays natal, l'Arménie. Comment son histoire vous a-t-elle influencé et quelle a été votre expérience à entrer en contact avec une culture si différente de celle dans laquelle vous avez grandi ? Comment pensez-vous que cela a influencé votre relation avec la mode ?

 

Mes grands-parents arméniens vivaient en Turquie, pays de leurs ancêtres, quand des terribles circonstances (un génocide) les ont forcés à fuir. On racontait dans ma famille que ma mère, sur le bateau de l’exode, gardait coincée dans sa manche une page de Vogue. Il s’agissait d’une couverture de Vogue datant de 1926 et montrant une femme habillée en Chanel devant une automobile. Le luxe absolu. Ma grand-mère disait : « Bien sûr, nous avons fui des massacres et nous sommes des réfugiés. Mais nous allons en France, le pays de Coco Chanel ». Et cela a en quelque sorte soulagé, aussi fou que cela paraisse, une partie de sa douleur (son père avait été pendu par les milices Turcs). Vous me parlez de culture différente et vous avez partiellement raison : ma grand-mère venait d’un autre monde. Sauf qu’elle connaissait malgré tout Chanel. 

 

Quel est ton premier souvenir de ta grand-mère ?

 

L'expression qu'elle a eue la première fois qu'elle a découvert que dans la vie, il était OK de s'habiller en blanc plutôt qu'en noir.

 

Grâce à l'expérience de votre grand-mère, vous avez été confronté au traumatisme générationnel de la guerre et de l'émigration, des sujets plus importants que jamais à discuter aujourd'hui. Comment cette prise de conscience a-t-elle changé votre vision de la société et de la vie ?

 

Le patronyme de mon grand-père a disparu de la surface de la terre. Et l’on m’a expliqué que cela signifiait que beaucoup de gens de ma famille avaient péri dans le génocide. Quand on n’a pas de racines, c’est évidemment terrible, mais c’est aussi une liberté folle qui vous est offerte. Bien sûr, le prix à payer est lourd. Toutefois, je vois la sorte d’opportunité que cela a été pour ma mère et ses sœurs de naître loin de toute norme sociale ancestrale. Il fallait tout réinventer. Il fallait à la fois s’intégrer tout en apportant la fierté de ses origines. Alors oui, en France la première génération d’immigrés vivait dans un certain communautarisme, mais dès la seconde génération (celle de ma mère née à Corfou, en Grèce, durant l’exode) il était question d’épouser la France. Par la langue que ma mère et ses sœurs parlaient divinement, par la poésie, et tout ça sans perdre la culture arménienne. Se libérer de toutes les contraintes de chaque culture pour inventer une originalité. Par ailleurs, ma famille était profondément pacifiste. Quand ma mère a épousé mon père, lui totalement français, ils avaient en commun l’horreur de la guerre. Ils voulaient l’union des peuples. 

 

Vous avez vécu des années de transformations significatives autour des récits de féminité, en discutant publiquement de l'abstinence et en embrassant les cheveux gris avant que cela ne devienne une tendance. Pensez-vous qu'il y a encore des tabous ? Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes qui essaient d'être elles-mêmes et de s'établir dans les domaines de la mode, de l'art et de la littérature ?

 

En français, quand personne avant vous n’a pensé à faire quelque chose qui se révèle pourtant être une bonne idée, on dit que vous avez « un boulevard devant vous ». Cela veut dire qu’il n’y a aucune concurrence. C’est un petit peu ce qui m’est arrivé. J’ai pensé à écrire sur le fait que je ne faisais pas l’amour. Et puis j’ai écrit sur ce qui se passe quand on laisse pousser ses cheveux blancs. Je suis étonnée que personne n’ait pensé à s’emparer de ces deux sujets avant moi, mais c’est ainsi. Je n’ai pas eu peur, car j’avais la certitude de ne pas être seule. Et je ne me suis pas trompée. La mention « international best-seller » est écrite sur la version en langue anglaise de L’Envie (The Art of Sleeping Alone). Alors bien sûr, l’absence de vie sexuelle ou les cheveux blancs sont encore un peu tabou, mais de moins en moins. Et je suis fière d’y être pour quelque chose. Les personnes abstinentes et les femmes aux cheveux blancs existaient avant que j’en parle, bien sûr, mais se faisaient discrètes. J’ai essayé de leur offrir une fierté. 

 

Intervista di Maria Stanchieri.