
Comment les 'It' Girls' de Paris abandonnent tout doucement la Hype Fashion
Quand la rareté devient le nouvel eldorado de la mode
28 Mars 2025
Il fut un temps où l’élite de la mode se définissait par sa capacité à décrocher l’It-item du moment. Pensez au Chiquito de Jacquemus, au retour en grâce de la Saddle de Dior ou à tout ce qui arborait un logo visible à 20 mètres de distance. Mais une brève promenade dans Paris en 2025 suffit à nous faire comprendre qu'un changement a eu lieu. Les Parisiens d’aujourd’hui ne courent plus après la viralité. La "hyper fatigue" est réelle, et à sa place s’installe quelque chose de plus lent, subtil et infiniment plus personnel. Ce que nous observons, c’est un passage de la reconnaissance à l’intention. À travers des collections oubliées, du JPG déniché au marché aux puces et du Mugler vintage de 1998, les looks des parisiens racontent des histoires—dans une ère où la mode est plus portable, moins tapageuse. Ce mouvement vers la rareté et l’intention est plus qu’un simple pivot esthétique—c’est un changement de valeurs silencieux mais délibéré. Les prescripteurs de mode parisiens adoptent une approche plus lente et plus intime. Ils privilégient des pièces chargées d’histoire : une veste Margiela SS98 trouvée sur eBay, un débardeur Helmut Lang délavé déniché aux puces de Montreuil, ou encore une paire de bottes André Courrèges deadstock héritée d’une grande tante.
L'idée est de se démarquer, non pas par ostentation, mais par la maîtrise—savoir quoi porter, mais aussi quoi éviter. Cela pourrait être une révolte contre la fast fashion ou contre la culture des influenceurs et l’uniformisation dictée par les algorithmes. Mais en même temps, cela soulève une question : s’agit-il vraiment d’un rejet de l’exclusivité, ou simplement d’une version plus affinée de celle-ci ? Car la vérité, c’est que ce type de goût—silencieux, codé, difficile à rechercher sur Google—reste tout aussi aspirationnel. Pourtant, à une époque où les tendances se recyclent au rythme d’un scroll, cette transition vers le luxe discret, la mode comme narration et l’authenticité vécue semble être ce qui s’apparente le plus à un redémarrage. Le commerce suit la tendance. Les boutiques vintage fleurissent partout à Paris et les files d’attente s’allongent. Les rues du Marais débordent de clients prêts (et enthousiastes) à fouiller dans la poussière pour dégoter du Chanel vintage. Bien sûr, l’argument du prix entre en jeu, mais les archives offrent une toute autre valeur. À mesure que l’ère de l'hypebeast s’essouffle, même les célébrités et les stars se mettent à chiner du vintage.
Des plateformes comme Vestiaire Collective, The RealReal, Vinted et Depop deviennent les incontournables de cette vague. Selon le rapport de revente 2025 de ThredUp (en partenariat avec GlobalData), le marché mondial de l’habillement de seconde main devrait atteindre 367 milliards de dollars (environ 340 milliards d’euros) d’ici 2029, avec une croissance cinq fois plus rapide que le commerce de détail traditionnel. Avec des vêtements neufs de plus en plus coûteux en raison des taxes et politiques commerciales, 59 % des acheteurs et 69 % des Millennials affirment se tourner vers la seconde main. Les réseaux sociaux et l’IA jouent aussi un rôle, 48 % des consommateurs déclarant que les outils d’IA rendent le shopping de seconde main aussi fluide que l’achat de neuf, selon le rapport. Un avantage notable : la probabilité que quelqu’un d’autre possède exactement le même article est faible. Ces plateformes offrent de l’unicité. Ce n’est plus seulement une question de prix ou d’écologie—c’est l’excitation de trouver une pièce que personne d’autre n’a. Le scrolling de seconde main est devenu la nouvelle chasse au trésor.
Fait intéressant, cette résistance discrète trouve tout de même sa place sur les réseaux sociaux. Les hauls vintage connaissent un véritable engouement sur TikTok et Instagram, mais ils ne suivent pas la formule habituelle des influenceurs. Pas de lien “shop this look”, pas de code promo, pas d’itinéraire direct vers la réplique. Et c’est justement le but. On regarde ces vidéos non pas pour trouver la pièce exacte, mais pour découvrir quelque chose qui s'en approche. L’objectif est de s’inspirer du style et se l’approprier, redonnant au shopping une dimension qui favorise l’individualité. Mais ne nous voilons pas la face : tout est encore et toujours une question de statut. Après tout, quoi de plus exclusif qu’une pièce que personne ne peut nommer ? D’une certaine manière, c’est le niveau ultime de la mode : un goût si discret qu’il en devient quasi indétectable. Pourtant, il y a ici quelque chose d’indéniablement rafraîchissant. Cela semble plus vécu, plus personnel, plus libre. Car à Paris en ce moment, il s’agit de s’habiller discrètement pour faire la déclaration la plus forte.