La mode s'invite de plus en plus dans les musées

Le 21 novembre dernier, au Musée National d'Arabie Saoudite à Riyad, a été inaugurée l'exposition Christian Dior, Designer of Dreams, un voyage à travers l'histoire créative de la maison française. Après le succès rencontré au Brooklyn Museum de New York et au Victoria & Albert Museum de Londres, l'exposition arrive en Arabie Saoudite, établissant un dialogue avec la culture du pays hôte qui a inspiré la conservatrice Florence Müller et la scénographe Nathalie Crinière pour la conception de certaines salles. Parmi elles, une salle s'inspire de la ville d'Al-'Ula, avec des robes évoquant la couleur du soleil et du désert, tandis qu'une autre rend hommage à la nature de la capitale, Riyad – dont le nom en arabe signifie “Les Jardins” – à travers des décors personnalisés. Ces dernières années, les expositions consacrées au monde de la mode ont connu une croissance significative. Les espaces muséaux, traditionnellement réservés aux expressions historiques ou artistiques, accueillent de plus en plus une discipline qui, jusqu'à récemment, trouvait sa place exclusivement dans les vitrines des magasins ou sur les podiums des événements élitistes.

Olivier Flaviano, lors de son mandat en tant que directeur du Musée Yves Saint Laurent à Paris, et aujourd'hui à la tête de La Galerie Dior, le musée permanent de la maison parisienne, a observé que « la mode est de plus en plus exposée au public et je pense que, d'une certaine manière, la mode elle-même devient un art. Grâce à ces grandes expositions, on contribue à transformer le statut de la mode. » Ce rapprochement croissant avec les environnements d'exposition révèle en effet l'intention du monde de la mode de se démocratiser, rendant cet univers accessible à un public plus large et traditionnellement exclu. L'intégration de la mode dans les espaces culturels et son accessibilité croissante semblent cependant représenter une évolution naturelle du rôle qu'a assumé ce monde glamour au fil du temps. Loin d'être simplement fonctionnelle ou symbole de prestige et de statut, la mode devient aujourd'hui un reflet des changements sociaux, s'imposant comme un phénomène culturel de grande envergure. L'exposition Real Clothes, Real Lives, inaugurée à la New York Historical Society en septembre dernier, en est un exemple. Avec plus de deux cents ans d'histoire racontés à travers les vêtements portés par les femmes, l'exposition démontre comment un vêtement peut refléter les habitudes et les visions de périodes précises. « Chaque fil et morceau de tissu exposé dans cette exposition offre des indices significatifs sur les femmes qui portaient ces vêtements, » explique Anna Danziger Halperin, directrice associée de la New York Historical Society. La longueur d'une jupe devient ainsi un symbole d'une période historique donnée, tandis que la silhouette d'une veste révèle des informations sur le statut social de celui ou celle qui la porte.

Sur le plan créatif également, la mode se rapproche de plus en plus d'une discipline artistique, avec des collections qui deviennent le fruit d'un processus narratif et d'expression de la capacité de storytelling d'un designer. Par exemple, Gabrielle Chanel. Fashion Manifesto, dédiée à la designer française et exposée au V&A Museum de Londres puis au Power Station of Art de Shanghai jusqu'au 24 novembre dernier, retrace l'évolution de la maison parisienne en mettant en lumière comment l'archive créative historique continue à influencer le design contemporain. Réfléchissant sur la cohérence narrative de la maison Chanel, le président de la marque, Bruno Pavlovsky, observe, « Je pense qu'il est très important aujourd'hui d'aborder le même sujet sous des angles différents, de raconter la même histoire de façons variées. C'est également la créativité que Chanel a constamment pratiquée depuis longtemps. » Grâce aux espaces muséaux, la mode parvient à valoriser sa dimension conceptuelle, dépassant les limites de la couture et de la relation commerciale avec le client, pour s'affirmer comme un langage universel.

En 2024, les expositions muséales consacrées à la mode ont été nombreuses. Au Royaume-Uni, outre l'exposition dédiée à Coco Chanel, le V&A a également accueilli Diva, une exposition consacrée aux looks signés portés par les icônes du monde du spectacle international comme Tina Turner, Cher, Rihanna, et Naomi In Fashion, une rétrospective sur la carrière de la supermodèle Naomi Campbell à travers quelques-unes des photos les plus iconiques, ouverte jusqu'au 6 avril 2025. Aux Dovecot Studios d'Édimbourg, on a pu découvrir Andy Warhol: The Textiles, consacrée à la récente découverte d'une série de vêtements créés par l'artiste américain au début de sa carrière. Aux États-Unis, le Fashion Institute of Technology de New York (FIT) a proposé cette année des expositions fascinantes comme Statement Sleeves, explorant le rôle des manches comme élément central, et Africa’s Fashion Diaspora, racontant la diaspora africaine à travers le costume. À New York, le Costume Institute du MET a connu un grand succès avec Women Dressing Women, une exposition dédiée aux créatrices des XXe et XXIe siècles, et Sleeping Beauties: Reawakening Fashion, thème du dernier MET Gala.

C'est précisément le succès du MET Gala, avec ses grandes expositions, qui a donné à la mode l'occasion de redéfinir son offre artistique. D'une part, les espaces muséaux ont créé de nouvelles opportunités pour s'adresser aux VIC (Very Important Clients, une partie de la clientèle de luxe qui, bien qu'elle représente une fraction minimale de la population mondiale, génère une part significative des ventes des marques); d'autre part, la notoriété du MET Gala a également contribué à la redécouverte des archives historiques. Une démarche qui renoue avec les intentions originelles d'une maison de mode et son identité esthétique, tout en invitant à réévaluer sa pertinence dans l'industrie de la mode et la culture populaire. Les expositions sont souvent accompagnées de livres d'art de collection, symbolisant la valeur conceptuelle des vêtements et des idées exposées derrière les vitrines. Dans cette nouvelle dimension, porter un vêtement n'est désormais plus qu'une partie de l'expérience, qui peut ne plus être essentielle. Ce qui compte davantage, c'est la capacité à témoigner de sa participation par l'achat d'objets dans les boutiques muséales ou en assistant à des expositions, conférences et autres événements exclusifs, qui deviennent la véritable preuve de son appartenance au monde de la mode.