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La mode se raconte, Julien Da Costa la met en image

Portrait d’un photographe et réalisateur qui tisse les mémoires de la mode contemporaine

La mode se raconte, Julien Da Costa la met en image Portrait d’un photographe et réalisateur qui tisse les mémoires de la mode contemporaine

Nous avons la chance de vivre à une époque où un simple clic peut nous ouvrir les portes pourtant blindées de la mode. Que ce soit à travers son passé, grâce à du contenu historique expliquant comment Coco Chanel introduisit l'utilisation du jersey dans le secteur de l'habillement, son présent, via une marée d'analyses du dernier défilé Courrèges, et parfois même son futur, la mode est aujourd'hui narrée par beaucoup, accessibles à tous et comprise par la plupart. Pourtant quand tout a commencé pour Julien Da Costa, le téléphone, c’était pour téléphoner, Tiktok était loin de proposer du contenu réfléchi et instructif, et la mode était racontée à travers un seul et même canal : la télé. Une émission de Canal+ a suffit pour conquérir le cœur du Français qui aujourd’hui documente les moments phares de la mode contemporaine, la présente dans sa forme la plus authentique, et la raconte comme personne. Aujourd’hui, c'est justement à nous que Julien la raconte. 

« Mon point de départ, c’est la télévision de ma génération : un média primordial quand j'étais tout jeune, qui a été ma première fenêtre sur cette industrie, explique-t-il. Un jour, je tombe par hasard sur une émission de mode diffusée sur Canal+, et j’entends cette voix qui en plus d’être drôle, est aussi intéressante. Cette voix, c'était Loïc Prigent. En grandissant, les reportages et documentaires du journaliste ne quitteront plus Julien, qui très vite, se dit ce serait tout de même sympa de travailler avec lui. « La vie a fait que nos chemins se sont croisés, et si on dit souvent qu'il vaut mieux ne pas rencontrer ses idoles, j'ai la chance de pouvoir dire aujourd'hui qu'en fait si, il faut rencontrer ses idoles et c'est plutôt génial quand ça se passe bien » continue-t-il. Ainsi, Loïc, avant même d'être son mentor, devient sa référence en matière de mode, en particulier grâce à son documentaire sur Marc Jacobs et sa série Le jour d'avant. « C'est ce qui m'a permis de comprendre que la mode, ce n'était pas qu'une image, c'est aussi beaucoup de savoir-faire, de gens qui travaillaient derrière pour atteindre une seule et même vision. Dès le début, même si j’ai toujours eu cette envie de télé et de super sujets narratifs dans l’univers télévisuel, j'ai voulu vivre cette industrie à travers une caméra, que ce soit en vidéo ou en photo, les deux étant intimement liés », nous explique le photographe et réalisateur, qui a récemment entrepris une carrière en solo. 

Et quelle carrière. « J’ai eu la chance de filmer plusieurs fois Karl Lagerfeld à l’oeuvre. C'était une des personnalités les plus marquantes que j’ai eu à rencontrer dans ma carrière et surtout une des icônes qui a donné envie à tout le monde de s'intéresser à la mode » explique Julien. À l'époque où il découvre la mode, c'est d'ailleurs l'un des visages hyper connu, omniprésent que l'on voit à la télé, qui joue le jeu des médias et que l’on reconnaît à la seconde. « C'était incroyable de voir un génie de la mode de son vivant travailler, créer une image. J'ai également beaucoup aimé filmer ses défilés Chanel, ses séances photos, que de choses inoubliables que l’on ne filme qu’une fois dans sa vie. » Mais le Kaiser n'est bien sûr pas le seul à avoir créé pour Julien des souvenirs inoubliables : « Lors du dernier défilé Jean-Paul Gaultier au Théâtre du Châtelet,  j'ai fini sur la scène à filmer le créateur, ce qui n’était pas du tout prévu. J’ai également eu l'occasion de filmer beaucoup de jeunes créateurs émergents, les voir grandir est aussi un aspect très intéressant de mon métier. J'ai conscience que quand on les filme, on ne sait pas ce que ces gens peuvent devenir demain ». Sûrement l'un des aspects les plus fascinants de la mode, un monde qui reste tout de même assez surprenant, dans lequel on ne sait jamais d'où le succès peut venir. « J'ai eu la chance de filmer les premiers défilés Jacquemus et de voir aujourd'hui que c'est devenu une immense maison. Quand on s'intéresse un peu à la mode, il est très important de rester en alerte, de regarder le travail de tout le monde, de regarder même des gens qui ne nous plaisent pas forcément de prime abord. »

En ce qui concerne le futur, Julien a des projets à revendre. « Il y a énormément de photos que j'aimerais faire. Énormément de mannequins que j'aimerais shooter. Énormément de marques pour lesquelles j'aimerais travailler. Énormément  de savoir faire que j'aimerais mettre en lumière. La mode est une source inépuisable d'inspiration. Il y a tellement de codes et de leviers narratifs dans toutes les maisons qu'il y a une quantité infinie de sujets à filmer » précise-t-il. Mais pour l'heure, Julien avance un projet après l'autre, en commençant par celui de la mise en lumière des mannequins et de leur voix : « Ces dernières années, j'ai beaucoup beaucoup aimé interviewer les mannequins car je trouve leur carrière assez injuste. Dans la mémoire collective, on cite tout le temps les mêmes top models des années 90, j’ai eu envie de faire entendre la voix de mannequin de notre génération. Elles sont tout aussi belles, brillantes et intelligentes. C’est comme s'il n’y avait que quatre mannequins des années 90 qui font un espèce de hold up mémoriel, tout le monde ne parle que d'elles alors que d'autres personnes méritent tout autant d'être mises en lumière. » Une nouvelle génération de mannequins très cool, sympa, inspirante, mais surtout beaucoup moins diva, souligne le photographe et réalisateur. « De pouvoir être un des premiers à leur poser des questions et de les voir par la suite devenir des superstars, c'est très intéressant à documenter. Je me rappelle des toutes premières fois où j'ai parlé à Loli Bahia qui aujourd'hui est une superstar, la mannequin française la plus connue du moment, certainement la Kate Moss de sa génération » souligne-t-il. 

Et en parlant de nouvelle génération justement, ainsi que de tous les changements et nouveautés qu'elle comporte, Julien nous explique ne pas être inquiet, bien au contraire : « j'essaye de voir les progrès technologiques comme une espèce d'outil qui peut aujourd'hui permettre à des créatifs de créer des choses intéressantes. Je pense qu’il faut le voir plus comme une aide que comme une menace. À l'heure actuelle, certains créatifs peuvent grâce à ces avancements s'imaginer des vidéos complètement folles, l’intelligence artificielle peut venir pallier à un manque ou venir épauler un projet. Donc pourquoi pas. Je ne demande qu'à voir. » Le discours est le même pour l’arrivée de nouvelles personnalités et manières de faire dans la mode et son récit. « Je suis pour l'évolution et je suis pour être surpris. Je suis un éternel optimiste, un fanboy de la mode et je trouve ça très bien d'être bousculé, de voir des jeunes générations arriver et proposer d'autres choses, observer des nouveaux talents et des nouvelles façons de raconter l'histoire et ce milieu. Je suis toujours hyper enthousiaste de découvrir, de voir comment des nouveaux influenceurs vont raconter avec leur ton hyper personnel leur expérience de défilé, avec leurs codes à eux qui ne sont pas du tout les codes de la presse traditionnelle ou télévisuelle. Tout a changé, tout change, et tant mieux. Je ne demande qu’à être surpris. Je n'attends que ça. »

Notre conversation s’est joliment conclue, nos lunettes roses d’éternels optimistes toujours posées sur le nez, en abordant les possibilités du secteur, ce qu'il offre aujourd’hui et offrira demain à ses adeptes : « La mode est une des industries qui créent le plus d'emplois en France et qui dispose de moyens complètement fous. Aujourd'hui, elle permet de donner vie à des manifestations artistiques absolument dingues, avec des défilés aux décors fous, souvent réalisés en collaborations avec des artistes hallucinants qui se retrouvent à Paris spécialement pour l'occasion. » Occasion qui aujourd'hui est bien loin de se contenter de montrer des vêtements. « Je ne dirais pas que la mode c'est de l'art, mais c’est une industrie qui a les moyens de permettre des manifestations artistiques très intéressantes, en faisant appel à d’excellents photographes et artistes pour des collaborations ou des décors. En fait, la mode, c'est une collaboration. C'est un travail collectif qui donne une vision complètement folle, tout se passe au même moment. Il n'y a que cette industrie qui permet aujourd'hui de créer des choses aussi inspirantes » explique-t-il. La collaboration : un aspect qui l'aura d'ailleurs le plus fasciné à ses débuts. « Encore aujourd'hui, je suis toujours surpris de voir autant de gens derrière un défilé. Je crois que j'ai même encore du mal à quantifier combien de personnes travaillent pour une superproduction comme un défilé Loewe ou Chanel. C'est une industrie qui ouvre beaucoup de portes et qui donne beaucoup d'opportunités à plein de talents ». Une industrie qui donne beaucoup d'opportunités certes, mais qui promet aussi de faire des découvertes intéressantes et parfois inattendues : « J'ai découvert beaucoup de gens hallucinants, qui ne venaient pas forcément de milieux privilégiés. La réputation de milieu très fermé et hautain qu’a la mode, je la comprends et en même temps j'aime bien la contredire». Une contradiction faite avec un sourire dans la voix, qui conclut à la perfection cette conversation.