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La banalisation du luxe a-t-elle fatigué ses adeptes ?

Chanel et le président de sa section horlogerie et joaillerie s’interrogent sur son statut

La banalisation du luxe a-t-elle fatigué ses adeptes ?  Chanel et le président de sa section horlogerie et joaillerie s’interrogent sur son statut

Si autrefois seule une tranche très élitiste et relativement fermée de la population était en mesure de s’intéresser au luxe et surtout de se l'offrir, il est aujourd’hui partout tout le temps, et presque pour tout le monde. Synonyme de démesure et de division des castes il y a quelques années, sa digitalisation et ses nouveaux usages l’ont porté à présent à une démocratisation, voire une banalisation. Face à une concurrence croissante et à une concentration accrue du secteur, créant une pression sur la rentabilité à court terme, ainsi qu'en raison des nouvelles exigences du marché, les maisons de luxe sont contraintes d'élargir leur gamme de produits. Un choix qui leur permet de toucher non seulement leur clientèle traditionnelle, mais aussi un public plus large. Le secteur du luxe a ainsi évolué d'une approche axée sur une offre destinée à un nombre limité de consommateurs vers une stratégie où les professionnels du marketing analysent la demande du marché pour adapter la production à un marché de masse. Pourtant, alors que cette omniprésence et mise à niveau se voulait attirante et surtout efficace au niveau des ventes, il semblerait que cette banalisation du luxe dérange ses consommateurs, fatigués d’être « matraqués par le luxe ». Une possibilité qui inquiète Frédéric Grangier, le président montres et joaillerie de Chanel. 

Les deux prochaines années s’annoncent compliquées pour le secteur du luxe, explique Grangier, lors d’un entretien accordé au journal Suisse Le Temps. Selon lui, le facteur déterminant de la crise que traverse actuellement le secteur et qu’il continuera probablement de traverser n’est ni la crise de la mode sur le marché chinois, ni le contexte géopolitique et économique, mais bien la banalisation du luxe.  Un « facteur beaucoup plus inquiétant et qui explique pourquoi cette crise va potentiellement durer plus longtemps ». Car si les facteurs qui ont jusqu'à présent été considérés comme coupables d'avoir créé des perturbations pour le secteur du luxe et la baisse de ses ventes représentent des situations certes critiques mais cycliques et éphémères, la fatigue du luxe, elle, risque d'amener les consommateurs à un point de non retour et pourrait être définitive. 

Ces dernières année, un questionnement majeur quant à leur consommation du luxe et le sens de l’industrie s’est soulevé auprès des consommateurs du luxe, autrefois plus spontanés et peut-être moins réfléchis dans leur manière d'acheter. Des consommateurs qui, selon Grangier, seraient aujourd’hui « fatigués d’être matraqués par le luxe ». De plus, il semblerait que l’option seconde main pour le luxe soit de plus en plus envisageable et acceptée par les nouvelles générations. Selon une récente étude menée par CSA pour Vinted, pour 69% des Français, les produits de luxe de seconde main sont des produits de luxe à part entière. Une donnée qui expliquerait également pourquoi la population serait moins encline aujourd'hui à se rendre dans les magasins de luxe alors qu’elle peut se procurer des pièces historiques et rares pour un prix bien moins exorbitant. En effet, pour le troisième trimestre, le numéro un mondial du secteur, le géant français LVMH a d'ailleurs fait état d'une chute de 4,4% de ses ventes, tandis que celles de concurrent Kering (propriétaire notamment de Gucci) ont chuté de 15%. Si la Maison Chanel semble pourtant intemporelle et éternellement ancrée comme pilier du luxe et de la mode, elle n’est toutefois pas à l'abri d’un potentiel ras le bol général aux répercussions dramatiques, aucun de ses confrères ne l’est, d’ailleurs.