Histoire des logos emblématiques de la mode
Quand graphisme, art visuel et mode se mêlent et s'emmêlent
11 Octobre 2024
On dit qu’un seul être vous manque et tout est dépeuplé. Dans la mode, cet adage se transformerait plutôt en « un seul regard suffit, et n’importe quelle pièce de luxe peut-être identifiée ». Du double C de Chanel aux initiales entremêlées de Saint Laurent, il suffit bien souvent d’un simple et rapide coup d'œil pour reconnaître et identifier l'appartenance à une maison d'un sac ou d'un vêtement. Et ce n’est ni le matériau de qualité, ni la coupe, ni la palette utilisée qui nous indique l’affiliation à une grande famille du luxe d’une pièce, mais bien son logo. Allant du petit dessin distinctif au nom de la marque et de son créateur joliment calligraphié, les logos ont le don de s'immiscer dans notre imaginaire, dans un jeu de codification de la mode et de son histoire, et la victoire reviendra à celui qui de ses quelques lettres mélangées arrivera à le décoder. Si aujourd’hui les logos sont omniprésents sur les podiums et dans les collections des grandes maisons, la tradition voulait autrefois qu'ils restent bien au chaud cachés à l'intérieur. Découvrons donc comment les logos ont commencé à apparaître en premier plan sur les pièces de luxe, devenant ainsi les traducteurs de toute une esthétique.
Les logos font leur première apparition en 1440, aux débuts de l’imprimerie, ayant initialement pour fonction de différencier et faire reconnaître les divers auteurs et imprimeurs de l'époque. Le tout premier logo réalisé dans une démarche publicitaire toutefois ne sera créé que des siècles plus tard, en 1886 par Coca Cola. Leur fonction prendra ensuite un autre tournant en 1914, servant non seulement à promouvoir une quelconque marque, mais également à identifier un groupe de personnes et d’activités, avec Pierre de Coubertin qui dessinera les premiers pictogrammes des Jeux Olympiques. Mais ce qui nous intéresse, ce ne sont ni les sodas, ni le sport, mais bien la mode. En 1815, c’est Louis Vuitton (ou plutôt sa descendance) qui mettra sous le feu des projecteurs dans la sphère fashion et du luxe ce petit emblème.
Que ça soit sur des sacs, des vestes, des ceintures et même des boîtes d’Airpods, des sacs à dos ou encore des matelas de yoga, le Monogram de Louis Vuitton aujourd’hui est omniprésent, représenté sous toutes ses formes et toutes ses couleurs. Pourtant cela n’a pas toujours été le cas, car avant lui, la maison française était reconnaissable par la toile en damier créé en 1896, toujours dans des tons chocolats, qui était toutefois trop facilement recopiable. Pour remédier au plagiat qui était alors à portée de main des hors-la-loi, Georges Vuitton, fils de Louis Vuitton, décida de créer une toile géométrique recouverte des initiales de son paternel, pionnier de la maison Vuitton. C’est donc de cette manière que les marques commencèrent à écrire leur nom à l’extérieur des produits, autrefois religieusement cachés à l’intérieur. Une idée aussitôt adoptée par la Maison Chanel avec son logo en double C. S’il est facile de deviner qu’il représente les initiales de Coco Chanel (surnom de la créatrice de la maison, de son vrai nom Gabrielle Bonheur Chanel), une information cruciale de son histoire doit toutefois être mentionnée : l’idée de croiser les deux C vient en réalité de la reine Catherine de Médicis, ou plutôt de son château et de ses pierres gravées de ses initiales qui s’entremêlent. On dit aujourd’hui que ces deux logos seraient les plus copiés de l’univers.
Saint Laurent quant à lui, a fait appel à l’artiste peintre franco-ukrainien A. M. Cassandre, qui lui réalisa en 1961 le logo où les trois lettres qui composent son nom se mélangent, dans un dessin épuré, simple et efficace. Mais laissons de côté quelque temps la France et partons pour l’Italie, qui en matière de logo est loin d’être en reste. Si le premier logo de Versace créé en 1978 reprenait simplement le nom de son créateur Gianni Versace - sauvagement assassiné devant sa villa à Miami en 1997 et léguant ainsi sa marque à sa soeur Donatella, qui en est actuellement toujours à la tête - le logo a été par la suite relooké du tout au tout. Introduit en 1993, c’est désormais un dessin de la déesse Méduse qui représente la maison en référence à la mythologie, une des grandes passions de Gianni Versace, et surtout dans une volonté de transmettre une autorité pure et un charme envoûtant à travers ses créations. Quant à Fendi, c'est à Karl Lagerfeld que l'on doit le logo qui encore aujourd'hui représente la Maison et ses pièces mythiques. Le créateur allemand aurait, selon la légende, dessiné en quelques minutes le double F sur un bout de nappe lorsqu’il rejoint la marque en tant que directeur artistique dans les années 60, même si le logo n’aura un réel impact sur ses clients et les férus de mode seulement à la fin des années 90, avec le lancement du sac baguette en 1997.
Si les logos étaient autrefois utilisés dans une lutte contre la contrefaçon pour laquelle de nombreux créateurs de mode se sont battus, comme Coco Chanel ou encore Madeleine Vionnet qui créa en 1921 l'Association pour la défense des arts plastiques et appliqués, leur but est aujourd’hui majoritairement esthétique et distinctif, créant malgré eux une communauté fermée et élitiste. Une utilité à laquelle certaines maisons aujourd'hui s’opposent, comme la Maison Margiela qui refusa complètement la notion de griffe et retira en 1989 toute notion de logo de sa marque. Dans une dynamique tout à fait opposée, certaines marques qui connaissent aujourd’hui leur quart d’heure de gloire, comme Jacquemus ont justement fait de leur nom un logo. Mais qu’en est-il aujourd’hui des logos des maisons qui ont participé à écrire histoire de ces emblèmes ?
Et bien le bilan est assez triste, car il semblerait que la calligraphie et l’originalité d’antan ont aujourd’hui été remplacées par une police et une esthétique similaire, basique, voire insipide. En 2012, Hedi Slimane remplaçait le joli YSL de Saint Laurent en un Saint Laurent Paris noir et gras. En 2017, Demna fait de même chez Balenciaga, suivi d’Olivier Rousteing chez Balmain en 2018 et de Daniel Lee chez Burberry en 2023. À l’heure où le quiet luxury des soeurs Olsen avec The Row est la nouvelle forme de bon goût par excellence et où le luxury shame en Chine se fait de plus en plus ressentir, les logos et le caractère qu’ils donnaient jadis à leur marque seraient-ils en danger ? Ce qui est sûr, c’est qu’un petit dessin à lui-même peut pourtant transmettre en un seul regard savoir-faire, histoire et patrimoine d’une maison. Il est important de garder en tête que par le pouvoir du graphisme, la mode se dessine, se résume, se raconte et surtout se vend.