La nouvelle collection de Céline est-elle un clash envers Chanel ?
Entre les ensembles en tweed, les bandeaux à logo et les chandeliers qui s'effondrent
30 Septembre 2024
Il y a quelques mois, Bruno Pavlovsky de chez Chanel avait dit : «Le système idéal pour nous n'est pas d'embaucher un directeur artistique qui offre la même chose dans chaque maison qu'il visite. Trop de directeurs artistiques perdent le sens de leur propre marque». Une phrase qui avait semblé pour beaucoup s'adresser indirectement à Hedi Slimane, ainsi qu'une dénégation officieuse du fait que le designer prendrait effectivement le tête de la direction créative chez Chanel. En effet, après Dior, Saint Laurent et Celine, diriger Chanel serait pour Slimane comme atteindre le sommet de la montagne après une longue et épuisante ascension - la montagne dans la métaphore étant la mode française. Toujours est-il que, selon des rumeurs de plus en plus vagues, l'union potentielle n'aurait pas abouti pour les raisons que tout le monde imaginait : Slimane veut tout contrôler chez une marque, sans déléguer quoi que ce soit. Si cela a fonctionné chez Celine, qui après les années de Phoebe Philo s'est construit une toute nouvelle (par ailleurs très lucrative) identité, l'univers vaste de Chanel est bien plus complexe et il est difficile d'imaginer que la famille Wertheimer, qui possède la marque, confie aveuglément les clés de son royaume à Slimane. Et c'est pour cette raison que plusieurs critiques ont vu dans la dernière collection SS25 de Celine comme une pique adressée à Chanel. Mais dans quel sens ?
La collection femme SS25 de Celine, dessinée par Hedi Slimane, s'inspire d'un été français des années 60, évoquant un atmosphère nostalgique et raffinée. La collection est inspirée par la relecture que Slimane a faite de La Chamade de Françoise Sagan, une histoire d'une femme qui renonce à un amant pauvre pour revenir vers son mari riche, avec en fond sonore les notes de Nico et des Velvet Underground et diverses références à des icônes françaises d'autrefois comme Françoise Hardy et France Gall. La majorité des mannequins porte un bandeau en soie noire avec une frange courte et un bob décoré du logo Triomphe, abondent les jupes plissées, les tops rayés avec des jupes en sequins, les twin-sets brodés et parsemés de paillettes, des jupes délicates au style Art Déco incrustées de cristaux, des robes de soirée en faille de soie noire, des ensembles en tweed et des vestes sans col, ainsi que de nombreux colliers superposés. Un type d'élégance classique avec des touches indubitablement françaises qui, en effet, rappelle beaucoup (avec des degrés de distinction appropriés et conscients) bon nombre des «signatures» que le public associe désormais à Chanel - y compris un top fleuri à quatre pétales qui n'est pas la célèbre camélia mais qui s'en rapproche beaucoup. Si l'allusion est notable dans les looks noirs et blancs avec des détails scintillants, l'héritage rock de Slimane émerge dans le smoking pour femme, dans certains mini-robes des années 60, dans les petites fourrures léopard et les tailleurs en cuir. Très différent de d'habitude est la fin du vidéo-défilé : les lustres anciens du Château de Compiègne s'effondrant en mille morceaux - un envol très inhabituel pour Slimane, dans lequel les plus médisants ont voulu lire une allusion à quelque chose de vieux balayé.
Quoi qu'il en soit, que les choix créatifs de Slimane aient ou non une intention particulière, que Chanel l'ait envisagé pour ensuite le refuser, que cette collection ait été inspirée ou non par la marque en premier lieu – tout cela est matière à des spéculations futures et à des légendes de la mode. Après tout, on ne voit ni perles ni chaînes en or, ni détails matelassés, juste une version très décorée (et très Slimanienne) de la classique petite robe noire nécessaire pour une copie complète du style Chanel. En général, Slimane a beaucoup rêvé de périodes lointaines dans ses dernières collections, abandonnant le monde de l'indie rock au profit de fantasmes sur le début du XXe siècle. En analysant les collections précédentes présentées par Slimane, en effet, on remarque une sorte de mouvement rétrograde à travers le temps : des looks jeunes et agressifs des collections d'il y a deux ans, l'accent s'est progressivement déplacé vers les années 2000 avec la collection Age of Indieness ; il a fait un clin d'œil aux années 90 avec la collection SS24, pleine de touches grunge, pour ensuite bondir en plein cœur des années 60 avec la FW24. Mais si la dernière collection était une ode aux années 60, celle dévoilée aujourd'hui ne partage pas la même clarté de lignes, la même vocation aussi définie pour cette décennie – elle semble plutôt être une réflexion sur un type de chic français qui par nécessité est endetté envers Chanel en tant qu'étoile la plus importante d'un firmament plus large dont font également partie Brigitte Bardot, Sylvie Vartan et Anouk Aimée. Comme toujours, après tout, les théories du complot plaisent car elles nous font supposer des histoires cachées - seul le temps dira si ces histoires existent ou non.