Y a-t-il encore de la place pour le streetwear sur les podiums ?
Même Off-White change de registre
16 Septembre 2024
L’impact que Virgil Abloh a eu sur la mode a été monumental – à tel point qu’il arrive encore, parmi les collections des écoles de design, de voir deux ou trois jeunes étudiants, souvent des hommes, qui réalisent pour leur projet final des collections streetwear, composées de survêtements, de pantalons entre le gorpcore et le workwear, et de hoodies qui, en 2024, sonnent comme quelque chose de désuet. Un dilemme, puisque ces jeunes designers s’inspirent de la vie réelle, où l’on porte sans prétention des hoodies et des pantalons techniques larges. Il en va de même pour les chaussures comme les Nike Dunk, terriblement répandues, terriblement confortables et terriblement dépassées – trop omniprésentes et banales pour avoir encore quelque chose à dire. En bref, le streetwear mène aujourd’hui une double vie, car d’un côté, on le recherche et on le porte comme garde-robe quotidienne privilégiée, d'autant plus s'il est agrémenté d'accents techniques et fonctionnels; de l’autre, on ne peut pas vraiment dire que cette popularité correspond à une mode, au contraire, le hypebeast est aujourd’hui le vestige d’un temps révolu, une figure qui mâche une conception simpliste et commerciale de la mode. Et les mêmes marques streetwear qui opèrent encore sur le marché pensent de la même manière : Kith signe des costumes avec Armani; Jerry Lorenzo produit des vêtements sur mesure en reléguant le sportswear à la ligne ESSENTIALS; Stussy, Palace et Supreme se sont tournés vers des lignes old-school et vers des collaborations majeures. Et même Off-White semble l’avoir laissé derrière lors de son dernier défilé.
@off____white Off-White Spring Summer 2025 show titled “DUTY FREE” by creative director Ib Kamara at Brooklyn Bridge Park, Pier 2, New York, 11202, USA #OffWhite #SS25 #DUTYFREE #Show #NYC original sound - off____white
L’absence de streetwear tel qu’on le connaît au défilé new-yorkais de la marque, aujourd’hui dirigée par Ib Kamara, qui est resté à la barre tout au long d'une période difficile pour la marque, a également frappé Rachel Tashjian du Washington Post, qui s’est légitimement demandée si le streetwear était, en effet, irrémédiablement dépassé, étant donné que Kamara semblait lui-même l’avoir abandonné cette année. Et en effet, lors du dernier défilé d’Off-White, malgré une inspiration visible du sportswear, Kamara a finalement franchi le pas de proposer une nouvelle silhouette, en retrouvant également un peu de cohérence et de complétude dans son langage. Ce qui a disparu, ce ne sont pas tant les pièces de streetwear au sens classique, mais les pièces les plus facilement commercialisables : hoodies, baskets, vestes sportives, couleurs synthétiques criardes, graphismes et ornements qui ne font plus sensation. Ailleurs, lors des derniers défilés, le même sentiment s’est fait sentir : Willy Chavarria a utilisé des maillots de hockey, des chapeaux et des sweat-shirts à logo ainsi que des designs collaboratifs avec adidas, mais pour raconter un monde où le streetwear est plus un outil qu’un objet de narration, utilisé pour décrire «la rue» mais avec une perspective plus mature, parfois plus cultivée; à Londres, Skepta a quant à lui radicalement changé d’inspiration pour la deuxième collection de sa marque Mains, qui a abandonné les survêtements, les ensembles imprimés all-over et les logos visibles pour une sélection plus mature de costumes, maille et chaussures en cuir, où même les ensembles en denim couverts de graphismes étaient présentés avec chemise et cravate. Même Corteiz, tout en devenant un phénomène commercial moderne, opère dans une dimension jeune, très périphérique par rapport à la mode.
@off____white Off-White Spring Summer 2025 show titled “DUTY FREE” by creative director Ib Kamara at Brooklyn Bridge Park, Pier 2, New York, 11202, USA #OffWhite #SS25 #DUTYFREE #Show #NYC original sound - off____white
En somme, pour répondre à la question posée par Rachel Tashjian après le défilé d’Off-White, le streetwear n’est pas dépassé mais il s’est redimensionné. Et ce nouvel espace est une dimension quotidienne qui, plus que jamais, s’est incorporée dans le lexique de la mode comme un élément secondaire et non comme un look totalisant. Après tout, Abloh lui-même avait anticipé dès 2019 que hoodies, baskets et t-shirts à logo cesseraient d’attirer les foules en délire. Le streetwear, en résumé, n’a plus sa place sur les podiums et, s’il l’a encore, dans les meilleurs cas comme ceux de Chevarria ou de Martine Rose, il sert de canal narratif, pour représenter avec réalisme les expressions d’une certaine communauté, mais toujours avec une direction artistique, presque jamais à la lettre. Le véritable endroit du streetwear, au fond, est plus dans la vie réelle que dans la mode, qui s’occupe d’autres rêves et d’autres aspirations. Ou, comme le conclut Tashjian elle-même : «Peut-être que le streetwear n’est pas mort, après tout. Peut-être qu’il ne nous dira pas où va la mode, mais il reste la base des garde-robes de nombreuses personnes».