Nous ne sommes pas prêts pour le retour du polo
Le grand classique de la sous-culture britannique, des Perry Boys à la Fashion Week de Londres
27 Juin 2024
Le polo ajusté au col déboutonné, religieusement porté avec une paire de jeans moulants et une large ceinture en coton aux boucles en métal, avait bien heureusement été remis au placard au milieu des années 2010, quand la hype culture avait réussi à mettre en avant les sneakers et les tenues oversize. Pour les ramener en tête des articles de mode les plus en vogue, il a fallu attendre 2020, avec le retour en force d'esthétiques vintage comme le quiet luxury, le bloke core et l’indie sleaze. La chemise en coton à manches courtes est aujourd'hui aussi la vedette au cinéma, avec des projets comme Challengers et Ripley qui reprennent ses codes grâce au look monochrome de Zendaya sur le court de tennis et à celui old money d'Andrew Scott à Venise, et sur les podiums, avec des designers comme Jonathan Anderson et Martine Rose qui rendent hommage aux racines britanniques de la culture ultras. Contrairement à ce que pourrait suggérer la silhouette stricte et élégante du polo, ce n'est pas son look “intemporel” qui le rend capable de revenir sur le devant de la scène des tendances, mais plutôt le contraire. Dans un polo, entre un col relevé et un autre minutieusement repassé, se cachent une multitude de significations culturelles différentes, appartenant à des sous-cultures éloignées de plusieurs années-lumière. L'objet est unique, mais un simple pli peut transformer son apparence.
Le polo dans la Terrace Culture
S'il y a une chose que l'on peut dire avec certitude sur la mode du XXIe siècle, c'est qu'elle est totalement influencée par la nostalgie. Rien n'est nouveau, tout est réinterprété. Si nous considérons aujourd'hui le polo comme un produit du street style avant même d'être un symbole de statut pour les riches joueurs de tennis, c'est grâce aux années 70 et à l'essor de la Terrace Culture. Avec le succès du football anglais, à la fin de la décennie, les supporters des équipes britanniques ont commencé à voyager à travers l'Europe pour soutenir leur équipe. À Milan, à Rome et dans d'autres grandes villes, ils ont découvert une passion pour des marques comme Sergio Tacchini, Diadora, Fila et Kappa, et les ont ramenés chez eux, même si la marque préférée pour les polos restait la patriotique Fred Perry (d'où le nom des Perry Boys). Avec le logo de la marque bien en évidence placé sur le cœur, le polo de marque est devenu une marque de reconnaissance pour tous les passionnés de football qui voulaient s'identifier à leur manière dans la foule, sans nécessairement porter les couleurs de l'équipe qu'ils soutenaient. Parmi les hooligans et les ultras du monde entier, la mode du polo bien boutonné a ensuite éclaté pour se donner une apparence de "bons garçons" aux yeux des forces de l'ordre, mais aussi pour mieux approcher les groupes rivaux, au pub comme à l'extérieur du stade. En dehors de la ressemblance du polo avec le maillot de football traditionnel (celui que Eric Cantona aimait porter avec le col relevé), la silhouette des maillots portés par les fans de football reprenait également le style des mod, une sous-culture qui a pris racine au Royaume-Uni dans les années 50, même si, vingt ans plus tard, les mocassins ont été remplacés par les adidas Samba et les parkas vertes par des anoraks Burberry (même ceux qui sont portés le col retroussé pour montrer le "House Check").
Le polo dans la pop culture
Selon la théorie de la mode du trickle up (littéralement, remonter vers le haut), avant d'arriver sur les podiums, les polos ont dû passer par la pop culture. La plus grande promotrice du vêtement face aux objectifs des paparazzi a été Amy Winehouse, la star de Back to Black qui aimait associer des Fred Perry de toutes les couleurs à des jeans moulants, des bretelles, des colliers en or et de grosses ceintures en vinyle. Son look de pin-up des années 50 délavé, caractérisé par une volumineuse chevelure noire et un épais trait d'eyeliner, faisait presque ironiquement référence aux racines essentiellement preppy du polo. La fidélité de Winehouse à la marque anglaise l'a amenée à collaborer avec Fred Perry en 2010, avec le lancement d'une capsule aux lignes expressément vintage, tout comme sa voix. Parmi les autres icônes pop anglaises qui ont été les porte-étendards du look entre les années 90 et 2000, on trouve Liam Gallagher, David Beckham (directement depuis le terrain de football), Damon Albarn et Richard Ashcroft, tandis qu'en Amérique, les polos ont trouvé leur place dans le hip-hop grâce à Kanye, Pharrell et même Pitbull.
La polo dans la mode
Avant que Prototypes ne s'inspire du style des ultras italiens pour la SS25, les premiers à en reprendre les codes esthétiques sur les podiums sont Raf Simons, qui entame un partenariat avec Fred Perry qui s'achèvera en 2023, Miu Miu et Prada, même si dans ce cas le look était lié à la jeunesse collégiale. Après avoir disparu pendant une brève période, de mi-2010 au début des années 2020, les collections de mode des dernières saisons regorgent de polos, notamment à Londres. De Charles Jeffrey Loverboy, Craig Green, JW Anderson, Martine Rose et Wales Bonner, le bloke core est déraciné de l'austérité des tribunes de stade et transplanté dans un contexte artistique avec l'ajout de rayures, de motifs, de color-block et de silhouettes disproportionnées. Aux États-Unis, en revanche, peu de designers tentent de s'approcher du look, parmi lesquels Eli Russell Linnetz, qui pour la SS25 en a proposé des modèles moulants, graphiquement froissés et portés les uns sur les autres. De New York à Londres, en passant par Milan et Copenhague, on entrevoit les restes de la Terrace Culture se frayer un chemin sur les podiums. Pas encore affirmés sous leur propre nom, mais encore coincés dans le surnom qu'on leur a donné ces dernières années avec le bloke core, ils démontrent une fois de plus la forte influence des subcultures sur la mode de luxe. Le col relevé rouge de Cantona ou le polo moulant rose bonbon d'Amy Winehouse n'ont pas encore fait leur début, mais ce n'est peut-être qu'une question de temps.