Quand Raf Simons dessinait pour Jil Sander
Du color block à la Techno Couture
01 Luglio 2024
À la question « sur quelle marque aimeriez-vous mettre la main », Raf Simons n’a jamais hésité : « Jil Sander ou Helmut Lang ». Du premier, il est devenu directeur créatif en 2005, un an avant que la marque allemande ne soit rachetée par la société de capital-investissement Change Capital Partners, après la parenthèse tumultueuse de Prada commencée en 1999. La nomination de Raf Simons est arrivée à un moment crucial pour la marque, fondée en 1968 : Jil Sander était déjà sortie de la société et n'avait plus aucun rôle dans la direction créative, la scission avec le groupe Prada était définitive. Simons, qui à l’époque avait un diplôme en design industriel, de l'expérience en tant que directeur du département Mode de l’Université des Arts Appliqués de Vienne et en tant que directeur créatif d'une marque culte portant son propre nom, infatigable explorateur du menswear, il s'est soudain retrouvé catapulté parmi les patrons féminins de Jil Sander. « Je ne me rapportais qu'à Walter Van Beirendonck, Ann Demeulemeester, Dirk Van Saene, Dries Van Noten et Martin Margiela, qui faisaient leur travail de manière indépendante » racontait-il il y a quelques années dans une interview accordée à Vogue. « Maintenant, je dois faire face à deux marques, la mienne qui est très petite et Jil, qui est une grande entreprise. Je comprends les différences et chaque jour je me demande laquelle des deux est la plus en phase avec moi. Aussi parce que j'aime beaucoup les deux ».
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Raf Simons a été le directeur créatif de Jil Sander pendant sept ans, bien qu'il n'ait jamais travaillé sur le womenswear - « Je sais ce que cela signifie d'aller quelque part où vous n'avez jamais été, toute une arène est là, avec des lions qui attendent que la viande arrive. Je connais exactement le sentiment que j'ai éprouvé lorsque j'ai dû aller chez Jil Sander sans jamais avoir fait de womenswear. C'est un défi. Mais c'est fantastique » peut-on lire dans une conversation du designer avec Kanye West sur Interview Magazine. Un défi qui, si l'on veut en tracer une rétrospective, a été l'une des expériences les plus intéressantes de la fin des années 2000 : si le manifeste créatif de Jil Sander apparaissait comme un antidote structuraliste en réponse aux excès esthétiques des années 80, le travail de Simons peut être lu comme une réélaboration prométhéenne de formes, volumes et couleurs indifférente à la dominante sensuelle codifiée au cours des années 2000. Relégué dès ses premiers pas dans le domaine du cérébralisme et de l'uniforme, Simons a démontré qu'il était un créatif capable de maîtriser tant le grunge que le color block et, contre toute attente triviale, les sophismes techniques et narratifs de la couture.
Pour sa première collection féminine, FW06, Simons reprend fidèlement les codes puristes et minimalistes de la marque allemande et les traduit en un exercice de style qui ne divise pas la critique. C’est sa deuxième collection, la SS07, qui nous laisse entrevoir l'apport du designer belge chez Sander : une chemise jaune acide avec une jupe courte en satin de duchesse bleu foncé, un tailleur composé d’un pantalon noir à jambe ajustée assorti d’une veste courte, avec une fermeture haute à un bouton, sous laquelle se devine le col d’une chemise émeraude apportent une nouvelle forme d’énergie à l'ADN de Jil Sander. Énergie qui, avec la FW07, atteint une pleine reconnaissance de la part de la critique : « Mardi, un designer belge peu connu nommé Raf Simons a attiré l'attention de l'intégralité du monde de la mode. La collection de Simons pour Jil Sander, la troisième depuis qu'il est devenu directeur créatif il y a 18 mois, était parfaite. Je parie que cela rendra tout le reste un peu artificiel, un peu maladroit, un peu idiot » écrivait en 2007 Cathy Horyn dans le New York Times. "Non pas que tout le monde voudra une cape en laine violette très fine sur un pantalon noir serré ou un costume en laine unie d'un bleu royal profond avec un plissé subtil sur le devant, mais il y a de fortes chances que, bientôt, M. Simons change votre perception". Selon les critiques américains, M. Simons a réussi à élever le minimalisme de Jil Sander à un niveau technique supérieur, avec une anticipation qui évoque Helmut Lang. "On le voit dans la coupe précise des capes, qui ont l'étroitesse d'une veste, ou dans l'utilisation inattendue de pinces pour donner de la définition aux manteaux de laine", conclut M. Horyn.
"Il est le seul à proposer de nouvelles formes", commente Emmanuelle Alt, directrice du Vogue français. Des formes qui, avec la collection SS12 - la dernière de sa "trilogie couture" - atteignent une telle maîtrise de l'architecture du vêtement qu'elles dépassent le concept même de pureté. Si les références aux céramiques de Picasso, icône du modernisme selon Simons, étaient une forme d'hommage à l'héritage plus élitiste de Jil Sander, avec sa dernière collection, la direction est claire : sur un podium décoré de cubes de fleurs en plexiglas conçus par le fleuriste Mark Colle, les mannequins serrent contre leur poitrine des manteaux couleur poudre, gardiens d'une féminité intimement désarmante. "À l'époque, j'étais complètement attiré par l'histoire de Christian Dior", se souvient Simons à propos de ses dernières années chez Jil Sander. Mais cette question fait toutefois partie d'un chapitre à part.